samedi 23 août 2008

Archives de la Sécuritate (3)


Après notre départ en exil, un innocent voisin déclare à un indicateur qu’il n’avait pas identifié comme tel : « Je le connais, Visdei, il a eu bien raison de quitter le pays, là-bas c’est mieux, j’ai moi aussi une fille au Canada et tous les mois, je lui envoie des objets de valeur, tapis, tableaux par des amis étrangers parce que la douane ne les laisserait pas sortir. » Pauvre voisin, il ne savait pas à qui il parlait. Ma mère, encore au pays, jouit de cette annotation « L’objectif est dans l’attention de l’indicateur 321/IV, car susceptible de quitter le pays en fraude ». L’image de ma mère (qui ne sait pas nager) traversant le Danube en dos crawlé traverse un instant mon théâtre intérieur. Pardon : mon aquarium intérieur. La palme du dossier sera accordée à ce document de décembre 1977 : « Prière envoyer note de synthèse sur le citoyen suisse X. domicilié Ruse (sic !) de l’Ale n°35 à Lausanne 1003. Des derniers matériaux en notre possession il ressort qu’il détient la fonction de Président du Parti Y et qu’il va épouser Visdei Anca Gabriela, ex citoyen roumain, établie à l’étranger en 1973. Un supérieur ajoute à la main «envoyez au GSD pour vérification et recoupement » et on signe Le chef de la Sécuritate suivi de ses nom et prénom en toutes lettres. Heureusement, tout en haut du document, ces mots veille« STRICTEMENT SECRET ». Ce prouve que la Sécuritate suivait des apatrides et des citoyens étrangers en dehors de la Roumanie, décevant de la part d’un état qui sur-réagissait à la moindre « ingérence dans ses affaires de la part d’un pays étranger ».
On m’a permis de prendre des photos, mais pas du dossier, voilà pourquoi la photo ci-dessus me représente moi et… la couverture du deuxième dossier. Le personnel qui répondait à nos questions était aimable et très jeune, probablement des enfants au moment de la chute du mur. Enchantée par la précision des réponses, je fais un compliment. Le jeune homme me répond :
-Je travaille au service investigation parce que j’ai étudié l’histoire.
-Eh bien ici, vous êtes en plein dans l’histoire contemporaine !
-Ma spécialité était l’histoire byzantine.
-Cela tombe bien, c’est byzantin
-Levantin, même.
Je craignais que deux jours soient un délai trop court pour lire l’ensemble des dossiers, quelques heures furent suffisantes. La langue de bois des circulaires se répétait et au bout d’un moment on captait le sens du document en le photographiant mentalement. Je reste avec deux grandes surprises : la présence quasiment partout d’indicateurs, (un même fait était parfois rapporté par trois fonctionnaires différents) et le total manque de coordination et de subtilité (tous les mots codés passaient la barre de la censure). Je reste aussi avec une belle nausée. Ce qui ne m’empêchera pas de revenir : tous les dossiers n’étant pas encore ouverts, la période qui commence en 1986, celle où je faisais des articles dans la presse sur les destructions d’églises en Roumanie, etc, n’est pas encore accessible.
Dehors, par 36 ° C, impossible de trouver un taxi. Pourquoi ? On organisait un circuit de F3 autour de l’édifice fou et palatial construit par le défunt dictateur, cela bloquait tout le centre de la capitale. Les passants pestaient : « Un circuti F3 , c’est ce qui nous manquait ! Ils n’avaient qu’à l’organiser au fin fond du pays où les gens ont besoin d’évènements, d’opportunités de vendre leurs produits, mais ici, nous sommes déjà suffoqués de tant de commerce ! » En route vers l’aéroport, j’avise une villa étincelante de feuille d’or, étalée partout à la grosse truelle. Au milieu du jardin : un immense crucifix, de la taille d’une potence, avec un Christ grandeur nature entièrement recouvert d’or. Je demande qui en est le propriétaire. « Gigi Becali, le berger devenu propriétaire de l’équipe de foot Steaua et candidat à la présidence du pays, un type qui se ballade en 4X4 et distribue par les vitres de sa voiture des dollars et des euros, car il n’a jamais d’argent roumain sur lui, un phénomène de goujaterie banlieusarde du tiers-monde, on a ce qu’on mérité. » Le taxi se fraie en chemin parmi des Lamborghini, des Maseratti ( la fabrique d’Italie a fixé à la Roumanie un quota de commandes, car elle n’arrivait pas à fournir devant la pléthore de demandes ), les routes sont défoncées, le salaire moyen mensuel est de 200 euros. Pour l’étude des archives de la Sécuritate, vous saurez tout sur le site est le www.cnsas.ro. Il y a une version en anglais. Mais pourquoi diable toutes ces voitures hors de prix m’ont fait penser à la Sécuritate ? L’intelligence serait la capacité de faire des liens entre des éléments qui apparaissent sans rapport. Et je vous écris cela aujourd’hui, 23 août, jadis fête nationale de la Roumanie car jour de l’insurrection de 1944, hypocrite appellation de l’arrivée des Soviétiques et de l’occupation. Fausse insurrection en ’44, fausse révolution en ’89, on n’en sort pas. Je retourne en Bretagne, il y a braderie à Dinard demain, kenavo !

3 commentaires:

Radu a dit…

Jeune fille ‘’réac’’ et fille de ‘’traître à la patrie’’, vous avez divulgué ici de lourds secrets d’Etat. Je pense donc que vous aurez une place réservée au goulag lors de votre prochaine visite dans la Mère Patrie, que vous vous êtes permis de dénigrer.

Vous aurez été prévenue : le bras de la Securitate est très, très long !

Anca Visdei a dit…

Merci de me prévenir, c'est un bras séculaire, faute d'être séculier...

Anonyme a dit…

Bonjour,

On a beau le savoir ou se l'imaginer, cela reste dingue !

Ce "passé" est inquiétant... L'avenir ne semble pas dégagé...

A bientôt, Marraine...