dimanche 31 août 2008

PROMENADE VESPERALE


Il était un peu tard quand je l’ai rencontré, voilà pourquoi la photo est sombre. Ce n’était pas en Australie, mais à Dinard. C’est un Wallaby Bennet. Sans accent circonflexe sur le deuxième « e », s’il vous plaît. Dans la documentation le concernant, je lis « vit plus ou moins seul au milieu de ses congénères ». Mais c’est notre définition d’humains ! Il s’adapte donc à nos classiques : « Ich bien ein… Wallaby ! » et « Nous sommes tous des Wallaby Bennet ». Il y a encore plus fou : la femelle pouvant être fécondé dès la naissance d’un petit (qui grimpe aussitôt dans sa poche) , la mère retarde le développement de l’embryon jusqu’à ce que le premier jeune soit définitivement sorti d’affaire et accessoirement de son marsupium. Donc elle garde toujours un embryon en attente pendant qu’elle élève l’aîné. Etonnant, non ? Cela ne vous impressionne pas ? Vous le saviez déjà ? Puisque vous êtes si savants, dites-moi s’il vous plaît le nom de cette plante qui porte ses graines en épis orange et dont j’ai parsemé mes bouquets ? Alors… ?

samedi 30 août 2008

À une lettre près


Entre virgo (nom, entre autres, d’une belle rose blanche de la roseraie de Dinard) et virago il n’y a qu’une lettre de différence. Comme entre lames et larmes.

vendredi 29 août 2008

LE CREPUSCULE DES REVES


Des gens qui me veulent du bien, du moins je l’espère, me disent que je ne sais pas décompresser. Ils ont raison. Mais je me soigne. Aujourd’hui, sur les Ramblas dinardais, lire la plage de l’Ecluse, j’ai fait la connaissance (lointaine et uniquement visuelle) de Matchoum, c’est le faux-marin à vrai pompon de la photo. Zelig des lieux, il s’habille en amiral lord des grandes régates, en treillis lors des lâchers de parachutistes sur la plage, en obstétricien à stéthoscope (ça, c’est son absurde touch !) et, je l’espère du moins, en Martien parfois. Personnellement, je le trouve parfait, il jouerait tous ces rôles à la perfection et, de surcroît, il est aimable avec sa tante, habillée aujourd’hui en Ecossaise ( le clan Mac’tcoum ?). Si j’étais à la barre de l’Office du tourisme local, je subventionnerais ces excentriques, ils sont les dépositaires du charme du lieu. Après ce happening discret que, personnellement, je trouve de bien meilleure qualité que beaucoup d’autres de la même eau qui se déroulent dans les meilleures galeries de Paris ou New York, on me signale un rayon de soleil. Je squatte aussitôt le seul banc avec vue sur la plage mais caché par un parterre de fleurs. La dame à côté de moi est trop sympa, je ne résiste pas, je lui adresse la parole. Elle lit le Monde des Livres : sur les deux pages centrales : deux photos de deux dames du métier, je ne dis pas lequel : Christine Angot et Catherine M. Que sont nos lettres devenues ? J’espère très vite des livres de Rocco Siffredi et de Bernard Tapie pour que les mecs en prennent plein la pudeur aussi dans un journal qui se « vend » ainsi. Je retourne donc à ma conteuse qui me semble une meilleure fréquentation que les p… prétentieuses. Elle s’appelle Francine, elle est conteuse bénévole dans les écoles de Paris, conteuse… ce beau métier que j’avais exercé pendant quelques mois à la Bastille et à Montparnasse… Elle me raconte son conte et il est beau et si triste… Les falaises de Dinard sont interdites aux promeneurs vers Saint Enogat et vers la Vicomté. Elles s’effondrent, prenons garde à la fragilité des monolithes. Sauf pour vous écrire ce petit mot, aujourd’hui, j’ai décompressé, pas vrai ?

jeudi 28 août 2008

LE MONDE APPARTIENT A CEUX QUI SE REVEILLENT QUAND CA LEUR CHANTE


28.08.2008-que de(ux) huits!

L’enfant s’endort à l’endroit où il se trouve dès qu’il est fatigue, parfois dès s’il s’ennuie. Pour qu’il devienne adulte, on le domestique en lui apprenant à se lever à heure fixe, généralement tôt (on lui fait miroiter que le monde lui appartiendra, alors qu’on lui vole chaque jour de sa vie) pour l’école, le travail. Un jour, bien des années plus tard, quand il a enfin intégré le réflexe, sans rapport avec son état de fatigue ou d’ennui, on le rend à ses foyers. La journée et accessoirement ce qui lui reste de vie lui appartient. Au moment où il a perdu jusqu’au réflexe primaire de s’assoupir dès qu’il est fatigué, de piquer du nez dès qu’il s’ennuie. On traite notre adulte apprivoisé comme un animal qu’on aurait gardé prisonnier d’un zoo sa vie durant et que, devenu vieux, on libérerait. Pauvre erre, il ne lui reste plus assez de temps pour redevenir sauvage.
Loin de Paris, je réalise le temps (trop long!) et les efforts (pourquoi faire?) qui me sont nécessaries pour sortir du tourbillon d’obligations ( souvent auto-) imposées, pour redécouvrir ce que j’ai envie de faire, dénicher les vrais besoins et les désirs sous la morne habitude agitée que le travail, la vie citadine, ma propre culpabilité m’imposaient. Qu’il est dur de se retrouver! Encore heureux que je n’aurai pas de retraite! Comme dirait mon nouveau copain le daim (lat.dama dama) de Port Breton.

mercredi 27 août 2008

Messages secrets des mots


Dilettante vient de diletto (« vieni, mio bel’ diletto » dans le livret de da Ponte pour le Don Giovanni de Mozart), donc le dilettante est celui qui prend du plaisir. Pourquoi une si mauvaise réputation du mot en français ? Révisons nos classiques ! Nous voulons tous être des dilettantes !

mardi 26 août 2008

Montagnes russes et vagues à larmes


Jour de marché, bulles de savon et vente de ballons. De toutes les couleurs, comme mon humeur. Le matin, je suis angoissée, le soir déprimée et entre les deux euphorique. Oui, d'accord, il y a quatre mouvements par journée, mais la nuit m'appartient...
A pays de marées, moral (cœur, âme ?) de marées. J'adore la Bretagne, ses hautes et basses mers. Moralement, je suis en empathie parfaite avec elle : mes hauts et mes bas sont phases maniaques avec désir d'aménager ici, planter des arbres, chauler des murs et phases dépressives avec envie de tout laisser tomber, écriture, vie sociale, promotion des livres, recherche d’un réduit breton personnel. Heureusement, à l'image des marées, la phase maniaque revient. Toujours. Embellie.

lundi 25 août 2008

BORDS de RANCE’S PARANO


Je ne savais vraiment pas quoi vous raconter aujourd’hui. Il y avait bien eu le matin la lecture du chapitre Solitude du Walden de David Thoreau en anglais et le bonheur inattendu de me trouver en si grande empathie avec le texte, un peu comme l’auteur dont tous les sens n’en faisaient qu’un et dont l’être tout entier se fondait dans la nature, mais il l’écrit tellement mieux que moi ! J’étais en train de m’exempter de blog pour aujourd’hui et d’endormir par de fausses raison ma conscience quand, partant en promenade vers Port Breton, je tombe sur l’inscription que voici, placardée à plusieurs exemplaires. Comme il s’agit d’un complot international, les victimes ont rédigé leur dazibao en français et anglais avec drapeaux correspondants. Le plus étonnant ? Ces testes étaient apposés sur une des plus jolies propriétés que j’ai vues dans le coin : grande juste ce qu’il faut, c’est à dire un peu trop, laissée à l’abandon exactement au point où le raffinement naturel ne devient pas encore négligence et laisser aller. Le plus cocasse ? Les victimes relèvent, comme preuve qu’il s’agissait de faux cambrioleurs, le fait qu’ils sont de notoriété générale si pauvres qu’il n’y a rien à voler. Si j’avais le quart de leur propriété, je me considérerais riche comme Crésus. Et si l’horrible complot international était commandité par un agent immobilier qui voulait terrifier les occupants pour acquérir leur bien ? Les victimes disent bien qu’elles ont été en proie à des attaques chimiques ( toute une journée ils n’ont pu entrer dans une pièce qui ne sentait pas bon - sic ! . Je n’apprécie pas du tout ces méthodes, je les condamne vigoureusement, et ceci en français et toutes les autres langues que je connais. Je prie cependant, au cas où mon hypothèse serait exacte, l’agent immobilier qui est sur l’affaire de me contacter. Je suis femme de théâtre et je pense qu’avec un ou deux spectres que je peux mettre en scène (avec des copains intermittents du spectacle, chaînes et hululements à l’appui) contre l’occupation de la cabane du jardin, on pourrait y arriver… Merci d’avance.

dimanche 24 août 2008

On brade… (de) tout


Bonne nouvelle, les JO s’arrêtent. Comme je les boycottais, ils ressemblaient trop à ceux de 1936 à Berlin, j’en perdais de l’énergie ! à m’éloigner de toute télévision qui les diffusait en ville ou à vite zapper quand, chez moi, je tombais par hasard sur les images de cette grande foire sporto-mercantile qui se déroule là où même un chef d’état (c’est dire !) devrait avoir honte de se montrer. Plutôt que brader son honneur ou les idéaux démocratique, à Dinard on brade un peu de tout. Fidèle depuis sept ans à ce rendez-vous annuel auquel j’accourais depuis Paris, je vous donne la liste de quelques objets présents sur les stands du vide grenier : vieux rabots, jeunes abat-jours, peaux de mouton à cinq pattes, jouets à moitié cassés, suspensions en opaline, cahiers de vacances, fers à repasser mille neuf cents, romans d’anticipation du millénaire à venir, peluches sales et draps propres, sacs neufs et vieilles chaussures, agendas des années passées, lithos de la Joconde, paniers percés et vases ébréchés, plateaux recollés et cadres scotchés, lampadaires Pompadour et méridiennes Récamier, chaises cannées et faux camées, manteaux pour l’hiver et singes pour les enfants, bâtonnets d’encens et livres encensés par des jurés achetés, pâte à modeler pétrifiée et stylos qui coulent, vieilles affiches et prétentions affichées, chapeaux de carnaval et boules de Noël, bonheurs du jour et chaises percées, rubans colorés et pelotes de laine, enfants perdus et flics décidés, vieilles cartes postales et embauchoirs en bois, arrosoirs peints et bottes de pécheur, chaussures non cirées et cirés de pluie, nounours chauves et poupées scalpées, perles de jais et jais en porcelaine, mignonettes de parfum et mignons des bords de mer, layette et cannes, j’en passe et des meilleurs.
Et voici les objets que j’ai acquis : un sac bleu canard et une veste orange sanguine. Pour le choc optique : inoubliable !
Démarrée sous des trombes d’eau, la brocante finit sous un soleil radieux avec des allers-retours de la pluie et d’averse. On a admiré le ballet des bâches que l’on mettait et remettait, un œil sur le ciel et l'autre sur les nuages, les barrières-écluses qui détournaient le circulation, oreille dressée vers le coin de rue, bonne humeur urbi et dinardi cependant.
Parmi d’autres, un lot qui n’a pas trouvé preneur : moi.
Pas de souci même lieu, l’année prochaine, j’aurai une chance. Ou plutôt mon acquéreur.

samedi 23 août 2008

Archives de la Sécuritate (3)


Après notre départ en exil, un innocent voisin déclare à un indicateur qu’il n’avait pas identifié comme tel : « Je le connais, Visdei, il a eu bien raison de quitter le pays, là-bas c’est mieux, j’ai moi aussi une fille au Canada et tous les mois, je lui envoie des objets de valeur, tapis, tableaux par des amis étrangers parce que la douane ne les laisserait pas sortir. » Pauvre voisin, il ne savait pas à qui il parlait. Ma mère, encore au pays, jouit de cette annotation « L’objectif est dans l’attention de l’indicateur 321/IV, car susceptible de quitter le pays en fraude ». L’image de ma mère (qui ne sait pas nager) traversant le Danube en dos crawlé traverse un instant mon théâtre intérieur. Pardon : mon aquarium intérieur. La palme du dossier sera accordée à ce document de décembre 1977 : « Prière envoyer note de synthèse sur le citoyen suisse X. domicilié Ruse (sic !) de l’Ale n°35 à Lausanne 1003. Des derniers matériaux en notre possession il ressort qu’il détient la fonction de Président du Parti Y et qu’il va épouser Visdei Anca Gabriela, ex citoyen roumain, établie à l’étranger en 1973. Un supérieur ajoute à la main «envoyez au GSD pour vérification et recoupement » et on signe Le chef de la Sécuritate suivi de ses nom et prénom en toutes lettres. Heureusement, tout en haut du document, ces mots veille« STRICTEMENT SECRET ». Ce prouve que la Sécuritate suivait des apatrides et des citoyens étrangers en dehors de la Roumanie, décevant de la part d’un état qui sur-réagissait à la moindre « ingérence dans ses affaires de la part d’un pays étranger ».
On m’a permis de prendre des photos, mais pas du dossier, voilà pourquoi la photo ci-dessus me représente moi et… la couverture du deuxième dossier. Le personnel qui répondait à nos questions était aimable et très jeune, probablement des enfants au moment de la chute du mur. Enchantée par la précision des réponses, je fais un compliment. Le jeune homme me répond :
-Je travaille au service investigation parce que j’ai étudié l’histoire.
-Eh bien ici, vous êtes en plein dans l’histoire contemporaine !
-Ma spécialité était l’histoire byzantine.
-Cela tombe bien, c’est byzantin
-Levantin, même.
Je craignais que deux jours soient un délai trop court pour lire l’ensemble des dossiers, quelques heures furent suffisantes. La langue de bois des circulaires se répétait et au bout d’un moment on captait le sens du document en le photographiant mentalement. Je reste avec deux grandes surprises : la présence quasiment partout d’indicateurs, (un même fait était parfois rapporté par trois fonctionnaires différents) et le total manque de coordination et de subtilité (tous les mots codés passaient la barre de la censure). Je reste aussi avec une belle nausée. Ce qui ne m’empêchera pas de revenir : tous les dossiers n’étant pas encore ouverts, la période qui commence en 1986, celle où je faisais des articles dans la presse sur les destructions d’églises en Roumanie, etc, n’est pas encore accessible.
Dehors, par 36 ° C, impossible de trouver un taxi. Pourquoi ? On organisait un circuit de F3 autour de l’édifice fou et palatial construit par le défunt dictateur, cela bloquait tout le centre de la capitale. Les passants pestaient : « Un circuti F3 , c’est ce qui nous manquait ! Ils n’avaient qu’à l’organiser au fin fond du pays où les gens ont besoin d’évènements, d’opportunités de vendre leurs produits, mais ici, nous sommes déjà suffoqués de tant de commerce ! » En route vers l’aéroport, j’avise une villa étincelante de feuille d’or, étalée partout à la grosse truelle. Au milieu du jardin : un immense crucifix, de la taille d’une potence, avec un Christ grandeur nature entièrement recouvert d’or. Je demande qui en est le propriétaire. « Gigi Becali, le berger devenu propriétaire de l’équipe de foot Steaua et candidat à la présidence du pays, un type qui se ballade en 4X4 et distribue par les vitres de sa voiture des dollars et des euros, car il n’a jamais d’argent roumain sur lui, un phénomène de goujaterie banlieusarde du tiers-monde, on a ce qu’on mérité. » Le taxi se fraie en chemin parmi des Lamborghini, des Maseratti ( la fabrique d’Italie a fixé à la Roumanie un quota de commandes, car elle n’arrivait pas à fournir devant la pléthore de demandes ), les routes sont défoncées, le salaire moyen mensuel est de 200 euros. Pour l’étude des archives de la Sécuritate, vous saurez tout sur le site est le www.cnsas.ro. Il y a une version en anglais. Mais pourquoi diable toutes ces voitures hors de prix m’ont fait penser à la Sécuritate ? L’intelligence serait la capacité de faire des liens entre des éléments qui apparaissent sans rapport. Et je vous écris cela aujourd’hui, 23 août, jadis fête nationale de la Roumanie car jour de l’insurrection de 1944, hypocrite appellation de l’arrivée des Soviétiques et de l’occupation. Fausse insurrection en ’44, fausse révolution en ’89, on n’en sort pas. Je retourne en Bretagne, il y a braderie à Dinard demain, kenavo !

vendredi 22 août 2008

Archives de la Sécuritate(2)- J’ai failli être fille d’indic’ et je ne le savais pas…


Ca y est, me voici dans la salle d’étude des archives avec trois dossiers devant moi, ils portent mon nom et celui de mes parents. Le premier dossier remonte à 1955. Il s’ouvre sur un « rapport sur la manière dont s’est déroulée la discussion avec l’architecte Visdei en vue de son recrutement comme informateur non qualifié ». 28 février. J’avais sept mois, mon père trente-quatre ans, il était architecte et petit chef dans une institution UCECOM, union centrale des coopératives artisanales. Comment l’idée de l’enrôler était-elle venue aux « garçons aux yeux bleus » ? Mon papa,( qui, malgré son charme indiscutable, restait, même dans ses vieux jours, du genre « poussez-vous tous, j’arrive » alors imaginez quand il était jeune chien fou !) s’engueulait régulièrement avec son chef, monsieur N., ingénieur et chef plein. La Sécuritate voulant mettre en scène un procès politique à l’ingénieur N. en l’accusant de dilapider le bien de l’état etc, avait pensé que la rivalité professionnelle, la frustration, les dissensions allaient pousser mon papa à « collaborer ». Des mois avant de le convoquer, on tissa la toile : presque tous les collègues de travail déposèrent par écrit leurs observations aux services secrets. Pour l’un mon père « n’avait pas de niveau politique », pour l’autre il « conteste sans arrêt les décisions de ses supérieurs » , « ne participe pas aux réunions », « nerveux et individualiste » pour tous. Jetez en encore : « bien qu’il aime son épouse, il est un peu don juan ». Et cela continue : « élément violent, don juanesque qui aurait aimé une carrière militaire qui lui fut interdite par son père », père sur lequel on faisait aussitôt une enquête pour apprendre qu’il avait été maire de la ville de Preasna avant guerre, qu’il possédait des terres arables, trois groupements ( ?) de maisons, 5 chevaux, 2 bœufs, 100 moutons, une auberge et j’en passe, le tout confisqué en 1947, n’en parlons plus. Dans ce paysage avec délateurs, y avait évidemment aussi la bonne âme, une collègue qui attribuait la nervosité de mon père au désir de bien faire et aux lourdes responsabilités d’un immense chantier qui pesait sur les épaules de mon paternel. Le pire et le meilleur. Conclusion du sergent recruteur après toutes ces dépositions : « élément attiré par notre régime, raison pour laquelle on utilisera la méthode de la persuasion ». Oufff on a échappé au pire, j’imagine les autres méthodes…
Mon papa se présente donc dans les locaux « aux yeux bleu uniforme » des « organes compétents », j’imagine ses chocottes. Au bout de deux heures, le recruteur conclut son procès verbal ainsi : « On a constaté que l’élément, bienveillant et vif ( ?) d’esprit a des états nerveux dus à un problème thyroïdien, suite à ces observations, on n’a pas passé à son recrutement et on lui a dit qu’il a été appelé pour parler de la situation générale de son entreprise. » Cependant, dans le dossier : une attestation personnelle de mon père, manuscrite, précisant que s’il divulguait ce qui s’était dit pendant le réunion il allait « être considéré comme traître et puni comme le prévoient pour ce crime les lois de la République Populaire de Roumanie »… N’ayant jamais entendu parler de cet épisode, j’ai téléphoné aussitôt à ma mère en Suisse. Elle non plus n’était pas au courant de la carrière d’indicateur que mon père avait fait avorter en s’imaginant une tyroïde délirante. Mais ouf, dans la suite et fin du dossier, les mouchards rapportaient que les relations tendues entre l’ingénieur N. et son subordonné Visdei étaient « de façon inexplicable, devenues cordiales. » Un seul petit tour à la Sécuritate et voilà qu’on se met à aimer son semblable ! Qui promettait un monde où le loup allait voisiner paisiblement avec la mouton ? il s’agissait bien du lupus, celui du homo hominis…
J’ai regretté que mon père n’ait pu accéder à ses souvenirs de son passé. Mais j’ai essayé de l’y faire participer. Malgré les 35° Celsius de ce lundi bucarestois d’août, je portais la même longue robe noire que lors de son enterrement, en août également.

Archives de la Sécuritate (1)


Mes bien chères sœurs, mes bien chers frères, lecteurs adorés, je me suis préparée pour cette étude, comme jamais de ma vie. Quatre jours à l’avance, j’avais arrêté le café (ma pire addiction), j’avais essayé (avec un succès très moyen) de me coucher tôt, j’avais préparé cahier de notes et appareil photo et le jour précédant la convocation, je n’ai essayé de parler que le roumain, pour me refamiliariser avec la langue des documents. Une charmante jeune femme m’avait donné téléphoniquement la bonne nouvelle qu’à part le dossier de mon père (deux volumes à 329 pages) on avait également trouvé un dossier à mon nom. Je pouvais étudier l’ensemble le lundi 18 août 2008 de 9 à 16 heures 30. On n'était pas en mesure de me préciser le nombre de pages de mon propre dossier. Le matin du 18 août, me rendant au siège dudit Conseil National pour l’Etude des Archives de la Securitate, rue Matei Basarab 55-57, j’avais les yeux bien ouverts, l’esprit clair et la crainte de ne pas pouvoir tout lire en un seul jour. Première surprise, le centre en question était flambant neuf ( voir photo, remarquez tout de même l’extincteur mobile qui bloque la porte) alors que dans les environs trottoirs défoncés voisinaient avec bâtiments dont on ne savait pas trop s’ils étaient en construction ou en destruction. Sur un parking voisin, une demi-douzaine d’employés essayaient de vendre des assurances auto aux passants; leur kiosque avait été supprimé suite à un changement de pouvoir en mairie et ils protestaient de la sorte contre la disparition de leur lieu de travail. Pour les photocopies, on nous avait recommandé une officine : « entre le terrain vague et le bâtiment étayé par des échafaudages ». Evitant un fou en pleine crise qui terrorisait les passants, on vit par les fenêtres de l’officine qu’elle était en plein déménagement. Il faisait 37°. Sans ombre. Je vous plante le décor pour vous faire comprendre notre surprise en entrant dans un local climatisé, repeint à neuf… Le policier de l’accueil avait l’air presque aimable, ce qui ne l’empêcha pas de vérifier nos passeports, re-vérification et photocopie des document à l’entrée de la salle de lecture. Où était déjà installée une trentaine de personnes dont je fis chuter fortement la moyenne d’âge, mais, sur ce terrain-là, je fus battue à mon tour par un jeune qui aurait pu être mon fils. Il était moine et portait longue soutane, catogan et calote de feutre noirs. Il s’était muni d’un ordinateur blanc, assez moderne, et me sembla très studieux. Rapidement, je reçus mes trois dossiers et je commençai la lecture. Je découvris que nous étions filés, photographiés à notre insu, etc. Je me revis à l’âge de 16 ans, dans la rue, à côté de mon père qu’on appelait « l’objectif ». Moi j’étais qualifiée de « l’individuE », cela sonne tout aussi barbare en roumain. Grâce aux « sources » (nom des indicateurs) je me revis, vintage à mort, très flower power toute en cheveux, époque Beatles, avec un petit panier en osier dont « la source » ne précisait pas le contenu. Le reste du dossier était en grande partie constitué par les lettres que nous adressâmes à ma mère, restée à Bucarest pendant quatre ans, jusqu’à son arrivée en Suisse. Tant nos lettres que ses réponses étaient photocopiées intégralement et « vlan au dossier ! » Le censeur soulignait des passages en rouge. Ma mère parfaitement révolutionnaire, en tout cas plus que la Securitate, faisait état des droits du citoyen libre, de la liberté de circulation selon la Constitution, etc, Pavlovien, le censeur soulignait compulsivement le mot libre. Il fit une exception pour égalité, qu’il enlumina aussi, (encore heureux que ma mère n’aie pas évoqué la fraternité ! ) c’était dans un contexte genre : quelle égalité devant la loi, alors qu’on donne des passeports à de fieffés imbéciles et pas à moi ? Ni les fieffés ni les imbéciles n’étaient soulignés. Modestie ? Quant aux noms de code que nous utilisions, et le censeur et les « sources " n’y avaient vu que du feu. Des prénoms de code que nous utilisions pour la plupart des amis, non plus. Les rares fois où j’avais oublié la consigne, en demandant par exemple « je te prie de souhaiter un bon anniversaire à Vlad le 30 juin », la lettre était annotée à la main « Qui est Vlad ? Vérifiez avec date de naissance ». Quelques jours plus tard on trouvait une fiche au nom du dit Vlad avec ascendants, descendants, profession, descriptions diverses, enquête de voisinage. J’ai eu le malheur d’envoyer un faire part en 1978 à dix personnes dont mon ancienne couturière, des collègues de lycée, d’anciens professeurs, des amis de mon père. Aussitôt, chacun avait sa fiche. Ma mère annonçait à un parent lointain que j’allais probablement lui rendre visite en Roumanie ? Annotation illico sur sa lettre : « Prévoyez micros’ pendant visite. Probablement dans la pièce la plus grande. » Puis interrogatoire du parent en question « grandement facilité par le fait que son fils espérait suivre une école de sous–lieutenants de police ». Ah je respire ! Je craignais une famille sans traître. Je n’aurais eu rien à vous raconter. La suite demain…

jeudi 21 août 2008

Bucarest


Mes bien chers lecteurs, je suis revenue de mon voyage dans le passé. Je ne pensais pas que cela pouvait être aussi fatigant, ce le fut. Et riche, et intéressant. Il me revient à l’esprit toutes ces histoires d’astronaute envoyé à des années-lumière qui , de retour à son point de départ, trouve ses enfants morts de vieillesse. Justement, me revient aussi ces mots au sujet du conte roumain « Jeunesse sans vieillesse et vie sans mort » que j’avais cité dans ma pièce « Photo de Classe ».
« BIANCA
Sur cette photo de classe on était tous jeunes et beaux … jeunesse sans vieillesse, vous vous en souvenez du conte?
VIOLETA
C'est pas l'histoire du petit prince qui pleure dans le ventre de sa mère ?
BIANCA
… et il ne consent à naître que lorsque le père lui promet jeunesse-sans-vieillesse …
RADOU
Ça me revient : il l'obtient et après, comme un imbécile, au lieu d'en profiter pour l'éternité, il revient mourir chez lui … C'est ton histoire, ça, Bianca … «

Bref : à Bucarest, trois jours et demi qui mirent à sac ma mémoire, à mal ma vision du passé, trois jours et demi qui ébranlèrent ce qui me restait de certitudes. Et une conclusion : mon père avait raison, je le croyais paranoïaque, il était dans le vrai. Inénarrables crises de fou rire aussi pendant la lecture des Archives, certains officiers de la Securitate étaient des auteurs absurdes qui s’ignoraient. Mais je vous ferai petit à petit le résumé des chapitres précédents de « Bécassine dans les archives de la Securitate ». Pour l’instant, prologue : la veille de la convocation, retrouvailles avec l’amie Gabi et l’ami Silviu, camarade de promotion baccalauréat 1973 au Lycée George Lazar de Bucarest. Cette joyeuse réunion, faite de souvenir, des nouvelles des uns et des autres (sur une promotion de 300 personnes, 100 sont établies à l’étranger et une vingtaine décédées), d’une évocation de notre folklore comique collègi-en et –al, (Cismigiu & Company) aboutit sur trois grands axes :
Moi : J’y vais, je crève de curiosité. Je n’arriverai pas à dormir, j’ai hâte.
Gaby : Tu me donneras l’adresse du Centre d’Etudes des Archives, je suis assez sûre que j’ai un dossier aussi.
Silviu : J’adore le passé, mais je préfère ne pas savoir s’il y a des amis, des proches qui m’ont trahi.

mercredi 20 août 2008

Retour d’aventure

Salut les potes, je suis de retour, voici la lettre qui m’a fait foncer; ailleurs, qu’auriez-vous fait à ma place ? Détails au plus vite, bisous tout de suite. En bonus : la photo du départ le 16 août 2008 à Roissy.

Conseil national pour l’Etude des Archives de la Securitate

Nr P 1119/08 du 18.07.2008

A l’attention de mme Anca VISDEI

Cher Monsieur,( ?!)
En vertu de l’article 1 de l’Ordonnance d’urgence du Gouvernement nr 24/2008, suite à votre demande, enregistrée auprès du C.N. S. A. S. no… nous vous informons que, suite aux vérifications effectuées dans les archives, on a identifié deux dossiers constitués par l’ex (feu ? ci devant ? ) Securitaté au nom de monsieur Georgel VIZDEI
Nous vous invitons au siège CNSAS le 18 août 2008, 9 heures en vue de la consultation des dossiers. Nous précisons que les dossiers comptent deux volumes avec 239 pages.
Nous vous prions de confirmer votre présence au téléphone…
Au cas où vous ne pouvez pas donner cours à notre invitation, nous vous prions de nous contacter téléphoniquement ou par E-mail en vue de choisir d’un commun accord une date ultérieure.
Avec estime,
Le vice président
Conf. univ. dr….

samedi 16 août 2008

Boutique blog fermée pour cause d’aventure


J’étais pas bien dans ma Bretagne ? Le paysage n’était pas magnifique, les promenades splendides, les fruits de mer savoureux ? Si. Mais il a fallu que je réponde à l’appel de l’aventure. Incorrigible, je vous dis. Surtout que, circonstance aggravante, l’aventure qui m’attend est un voyage dans… le passé. Je m’envole ce soir, je vous raconterai tout (ou presque) au retour, dans quatre jours, si tout va bien… Je vous embrasse fort et, en attendant, je vous rappelle cette pensée de Pascal que je ferai bien de méditer moi-même :
« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ».
Et le malheur des femmes ? Vers le passé, en avant toute ! A la santé de l'aventure !

vendredi 15 août 2008

REGARDE EN ARRIERE AVEC DOUCEUR


May I introduce to you an « artiste maudit » ? Une retrospective est consacrée jusqu’au 17 août à la Chapelle Saint-Sauveur de Saint-Malo à Hervé Dubly, peintre local. Un bel original, hypersensible, talentueux, compliqué. Après une expulsion du lycée pour fait d’homosexualité, des armes à Paris dans le dessin de mode, il revient à St-Malo, épouse pour « se ranger » une poétesse locale, a trois enfants, dont un mort à la naissance, une petite fille autiste et aveugle et l’autre… Grâce à sa mère qui l’a toujours soutenu, il continue sa carrière, acquiert une galerie rue de La Fosse, peint des fleurs, des bateaux, des paysages malouins, des autoportraits. De temps à autre, il se fait remarquer par une action d’éclat, il demande d’être enterre au Grand Bé, au-dessus de Chateaubriand, il pose nu, il peint dans les rues de la cité corsaire déguisé en femme, avec la voix de Maria Callas pour décor sonore, invoquant les étoiles. Des films vidéo le représentent dans son costume de travail : une sorte de Castafiore picturale coiffée d’un chapeau noir, recouverte de bijoux strass et juchée sur des chaussures plate-formes. Sa recherche de la jeunesse éternelle, de la minceur extrême parce que expressive, son narcissisme qui le pousse à se portraiturer en Van Gogh, en corsaire, en grand d’Espagne n’excluent pas l’humour. La frontière est fragile, on ne peut pas la fouler au pieds, des larmes en surgiraient. « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. »On croit volontiers cette sienne déclaration : Mon extravagance sert à cacher ma grande timidité. Avant sa disparition en 2005, il s’est marié, solennellement, dans la cathédrale de Saint-Malo. Avec lui-même. Ce sien tableau en témoigne. Il s’intitule « L'union parfaite ». Il me revient une phrase de Tchéchov : que d’amour ! et tant de souffrance ?
Je quitte la Bretagne aujourd’hui, j’ai le cœur à marrée basse et j’emporte, pour le lire dans le TGV, le Guide triste de Paris de Alfredo Bryce-Echenique. Pour m’enfoncer d’avantage. Vous inquiétez pas : dès que je touche le fond, je vous reviendrai.

jeudi 14 août 2008

CE N’EST QU’UN AU REVOIR…


Alternances rapides : soleil triomphant et averses violentes. A la faveur de l’éclaircie, je reprends la promenade le long des plages : L’Ecluse, le Clair de Lune, le Quai de la Perle, le Prieuré. Demain je dois les quitter et j’ai déjà de la peine à m’arracher, j’étais en train de redevenir sauvage (enfin !) et voilà que le devoir appelle. Never mind , I shall overcome.
Pendant les averses, je me prépare au retour -demain déjà- à la civilisation (décrassage, limage des griffes, coupage des tifs) puis programme de pluie : lecture. Depuis des années, je rêvais de relire Les Vies parallèles de Plutarque. Je m’y mets aujourd’hui, avec l’histoire d’Alexandre dit le Grand. Je le suis s’engouffrant dans les terres lointaines d’Asie, devenir soupçonneux, tuer des généraux parmi ses plus fidèles parce qu’il s’adonne à la boisson plus que de raison, couvrir des bienfaits, comme si ceci pouvait compenser cela, des rois vaincus, qui aussitôt le dos tourné se rebelleront contre lui, je le surprends se livrer à des pantomimes où il se prend pour Dyonisos, se dissoudre dans son rôle de demi-dieu invincible, de plus en plus fragile, lointain, paumé… Les horizons lointains, les terres de légende ne sont rien en soi, on peut tout autant s’y perdre ou s’y trouver.
On m’a prêté L’Enfance de Bécassine, je feuillette avec bonheur, et, comme on m’a fait à très juste titre remarquer que ce n’est que très exceptionnellement que Bécassine a une bouche, j’essaie de la dessiner, ah ce nez situé toujours un peu plus bas que la normale, rond comme un nombril, mais bon sang ! m’est c’est bien sûr : le visage de Bécassine est un sein, parfaitement rond, juste souligné d’un petit zibouiboui pâle et rond, essayez si vous ne me croyez pas. « Annaïk Labornez, destinée à la célébrité sous le nom de Bécasssine (…) son nez était si petit qu’on le voyait à peine .(…) Et cela désolait les parents. « Ché malheur ! On va être la risée de tous le pays ».On est en effet persuadé à Clocher-les-Bécasses que l’intelligence est en proportion de la longueur du nez. » J’aime Plutarque, mais résolument, mon maître à penser reste Annaïk Labornez. Je me sens si proche de sa manière littérale de comprendre les mots et d’en faire une réalité à elle, parallèle. Exemple ? Devant la plante que voici et qui pousse devant la mer, je me demande toujours : est-ce un chardon en fleur? un artichaut sauvage ? Cœur de chardon ? Les artichauts du Baragan ? Dans le même ordre d’idées, à Dinard, Boulevard Féart, La Bonheur des Dames ferme et liquide. Pour cause de retraite. Le bonheur n’est plus ce qu’il était. Je suis triste pour les Dames.

mercredi 13 août 2008

Lettre et passiflore


Il y a quelques jours, j’ai reçu cette lettre-courriel d’une lectrice de « Confession d’une séductrice ». Je l’ai trouvée si belle que, moi aussi, j’ai dû la lire deux fois. Pour y retrouver la même sensibilité, le même courage. Après l’accord de ma correspondante, je vous l’offre, sans coupures, sans rajouts, comme un bouquet de fleurs… de la passion.

« Chère Anca.
Après avoir refermé votre livre, je me suis empressée de le relire une deuxième fois pour bien me persuader que l'impression que j'avais ressentie demeurait la même.
Eh oui, je ressent toujours la même jubilation.
Enfin j'ai sous les yeux quelqu'un qui accepte d'être, de penser, de ressentir ce que j'ai toujours pensé, toujours ressenti mais que j'ai obstinément refusé d'être.
Merci de me permettre de vivre cela par procuration.
Par crainte de me perdre, j'ai écarté de moi toute possibilité de réaliser ce que votre héroïne assume si allègrement. Je me suis limitée à un seul "amant-époux".Mais l'éternel espoir, la quête de l'homme qui garderait les "yeux violets" est épuisante si elle se concentre sur cet être unique et si elle s'étend sur une vie commune de plus de cinquante ans !
C'est un combat que je livre encore et toujours. Mais que c'est dur !
Je ne puis me résoudre, comme votre héroïne, à accepter l'inéluctable : mon amour est un homme quelconque et non le dieu infaillible et sans défauts.
C'est en toute conscience que je suis passée à côté de passions violentes. Hypocrisie ? Lacheté ? Marque de mon éducation puritaine ? Il y a une certaine volupté au renoncement. Le saviez-vous ?
Je pourrais être votre mère, mais permettez-moi de penser à vous comme à une soeur, une soeur très proche, une soeur très chère.
Mais rassurez-vous, Eva ne renoncera jamais. Ce n'est qu'un moment de caffard. Le naturel reprendra le dessus. Les grandes amoureuses ne renoncent jamais. Savez-vous que, même avec les rides et les cheveux blancs, notre pouvoir de séduction reste intact ! »

AVERSES


Ayant raté le soleil du matin, j’ai affronté tempête de sable et pluie cinglante sur la plage de l’Ecluse, avant de me réfugier sous un auvent et faire leur sort à bulots, huîtres et crevettes. Rentrée sous une averse automnale, j’en ressortis, irrésistiblement attirée par un soleil de fin d’après-midi, doux comme le miel et chaud comme une caresse. La plage du Prieuré fondait au soleil et moi avec dans une douceur des sens assoupis, rêvant d’éternel été. J’étais en train de finir « La boîte noire » de Amos Oz quand, à trois pages de la fin, j’y trouvai ces mots : « Tu diras dans tes prières que la solitude, le désir et la nostalgie sont au-dessus de nos forces. Mais que sans eux, nous ne sommes rien. Tu diras que nous avons essayé de recevoir et de rendre l’amour mais que nous avons échoué. » Je me suis mise à pleurer. Sans avoir si les larmes étaient celle de la tristesse de devoir quitter ces personnages ou si elles surgissaient d’ailleurs. Peut-être de l’avenir. Il n’y a qu’un « d » pour transformer l’averse en adverse et qu’une voyelle pour tourner la force en farce. Sorcier d’Oz et son homonyme Amos. Des larmes sans douleur, des larmes de nostalgie ? De soulagement ? Ou juste la condensation du temps qui passe ? Parce que les filles de l’ami Ferhan partent étudier à New York, loin du Constantinople paternel ? Parce qu’une trêve est signée en Georgie mettant à l’abri Christian, Lika et leurs enfants ? Parce qu’il me reste moins d’une semaine avant l’épreuve de la confrontation du 18 août ? Parce que j’ai aperçu aujourd’hui la première feuille morte sur ma route ? Mais comment vais-je faire pour m’arracher d’ici ? J’espère que le mauvais temps m’en chassera. Comme les oiseaux migrateurs. Sinon… Je sens que je m’enracine. J’ai écrit hier une carte postale à mon professeur de piano : « Je suis retenue par des affaires familiales en Bretagne. » Ce qui est vrai : je suis en train de planter mes racines, des racines en formation dans cette contrée de granit et de flots émeraude. Transplantée, je m’implante. Et j’envoie des images et des pensées comme ma marraine de radio, Margot Rick qui faisait fleurir tous les étés sur RFI ses cartes postales destinées à des auditeurs lointains. Si je n’avais pas vu leurs lettres, j’aurais cru qu’ils n’existaient pas, réduits à un prétexte à émission estivale imaginé par Margot. Mais, tels les commentaires qui reviennent enfin sur mon blog, ils existaient bel et bien.

mardi 12 août 2008

PAPOUILLE CHEZ LES BRETONS (suite et fin) VII


Egaré, dieu sait comment, ou alors en villégiature sur la côte, un pigeon parisien qui avait beaucoup voyagé, mais sans avoir jamais migré, questionna à son tour :
- D’où vient cet oiseau ?
Haussant les ailes, tous lui répondirent en chœur :
- Eh sot, les mecs qui jouent des ailes n’y connaissent rien ! C’est un oiseau de Molène, le parapouille.
- Mais c’est qu’il est… différent.
Tournant carrément le dos, on signalait l’arrivée de bateaux de pêche dans le port, les goélands maugréèrent :
- Différent ? Mais qu’est-ce qu’ils ne vont pas inventer les gars de la ville ! C’est un goéland de Molène, comme tout le monde !
Les jours passèrent, les mois aussi et arriva ce qui devait arriver : la saison des amours. Papouille grossit, se fit prier pour voler et, finalement, se mit à couver dans les rochers. Ainsi apprit-elle qu’elle était bel et bien une fille. Et un jour, elle cria avec joie vers les goélands réunis vers le pays de granit et d’azur, vers tous les êtres matériels et de fumée qui irriguent et traversent la belle terre de Bretagne :
- Je suis heureux ! Non, je suis heureu-se. Excusez-moi, pas encore l’habitude. J’ai deux œufs. Jamais, jamais un oiseau paradis n’a pondu deux œufs à la fois, c’est la preuve que je suis une goéland. !
- Ben oui- firent les autres… tout le monde le sait ici.
- Je ne suis pas un oiseau de paradis
Cela semblait si évident pour tout le monde que l’on entendit même quelques voix :
- C’est quoi un oiseau paradis ? Elle a la fièvre pondeuse, elle délire.
Peu de temps après, deux petits goélands sortirent des œufs. Deux petits goélands typiques de Molène : recouverts de duvet de toutes les couleurs.

Que cela serve de viatique et de comptine à tous ceux qui passent par l’immortelle terre de Bretagne :
- Farfadets et
- korrigans
- morgans et morganes
- druides et druidesses
- fées
- berniques
- huîtres
- marins et marraines
- jolis enfants aux chapeaux ronds
- algues
- pigeons parisiens de passage
- oiseaux de paradis ….
- .....
Ajoutez ce qui manque et faites-le moi savoir quand vous passez en Bretagne.
Pa'P

lundi 11 août 2008

PAPOUILLE CHEZ LES BRETONS (suite) VI


Même dans ses plus beaux rêves, et Dieu sait qu’un oiseau qui a une vision circulaire et des os remplis d’air a des rêves miraculeux, mais même dans ses plus beaux rêves, Papouille n’aurait imaginé un tel royaume. Non, le mot est trop faible. Un tel empire ! Voilà : l’empire de granit et de varech, de nacre et de glycines.
Papouille ouvrit de grands yeux devant les draps blancs sur lesquels les morgans d’Ouessant étendaient leurs trésors. On cligne des yeux, le trésor disparaît. Coup de chance du débutant : tous les oiseaux applaudirent des deux ailes, certains même des deux pattes, mais, trop enthousiastes, ils se retrouvèrent le croupion par terre. Notre petit oiseau, dès son premier jour dans son vrai pays, acquit un trésor de perles amassé par des corsaires de Magon à Surcouf. Tout le groupe s’extasia, mais, comme dans un trésor il n’y a vraiment rien à becqueter, ils s’en allèrent plus loin. Papouille découvrit les arapètes du Grand Bé, les arénicoles de Sillon, les berniques de Cancale, les Kerpoisses de Perros. Trouvant partout la cuisine excellente, à la joie de ses hôtes. Comme vol après repas, on lui fit voir le phare des pierres vierges et la tour du lichen guérisseur, les pierres qui chantent, les korrigans de Paimpol, les gréements de Bénodet, les farfadets des glycines et les fées qui dansent autour des sphères des hortensias. Papouillle s’amusa de la huppe insolente des mouettes bigoudènes, des chapeaux ronds et des coiffes qu’on aurait dits taillés dans la mousse des vagues. Et quelles fêtes, quelles danses, quelle musique ! Les habitants à deux pattes chantaient, dansaient, buvaient jusqu’à en tomber d’épuisement. Ils étaient presqu’aussi fous que les goélands ! Sauf quand ils fonçaient sur leurs bateaux . Là on aurait dit qu’ils volaient comme des oiseaux. Quelques oiseaux s’étonnèrent au départ de la présence de cette petite boule de couleur dans le vol des goélands, mais Papouille se comportait si spontanément comme un des leurs, souvent mieux !, que petit à petit la réponse que recevaient les curieux à leur insinuant « Mais il vient d’où cet oiseau ? » devenait tout naturellement et sans réplique possible : « C’est un des nôtres, il vient de Molène ».

dimanche 10 août 2008

PAPOUILLE CHEZ LES BRETONS (suite) V


Il est difficile, toujours, pour un nouveau venu, de se faire accepter. Les premiers temps sont durs dans une cour d’école comme dans une nouvelle ville, sur un bateau qui lève l’ancre ou dans une colonie de vacances. Ceux qui vous ont précédé, fut-ce d’une petite heure, se font une joie de vous jauger, de vous mettre mal à l’aise, de vous tenir dans une quarantaine glaçante. C’est ce que les goélands s’apprêtaient à faire avec Pa’ Poum. Mais ce à quoi ils ne s’attendaient pas, c’est que Pa’ Poum fasse à tel point fi du rituel d’acceptation. L’oisillon se mit à taper avec ses ailes bariolées dans leurs dos vénérables et même sur quelques ventres chenus :
-J’en ai de la chance ! Mon père spirituel est un goéland, Gwernig. vous le connaissez…
Et devant leur stupeur à tous, Pa’ Poum émit un glapissement de mépris :
-Vous ne connaissez pas Gwernig et vous êtes goélands !
Visiblement, Pa’ Poum n’avait pas besoin d’être accepté, il se considérait des leurs. Le plus vénérable des goélands vers lequel tous les yeux se tournaient, glapit pour sauver … le bec.
- Si, si… je crois que c’est un gars de Molène. Ici, c’est Ouessant.
- A la bonne heure ! Moi c’est Papouille
Tant qu’à faire ! A nouvelle vie, nouveau nom ! De toutes les façons, il en avait assez de sa particule. Et il continua :
- C’est une bien belle île que nous avons là.
- Ce n’est pas la seule, il y en a au moins mille.
- C’est le Paradis !
- Non, c’est la Bretagne.
- Eh bien, on en a de la chance, nous, les goélands !
Ca les démangeait trop. Le plus jeune osa :
- Mais tu n’es pas d’ici !
- Ben, si, c’est mon pays : je l’ai rêvé, il est maintenant dans mon rêve, donc il est à moi.
- Mais tu es …différent !
- Bon, je suis un peu fatigué, j’ai fait un long voyage, je suis un peu défraîchi, mais si je me peigne un peu avec le bec…
- Même peigné, tu es …coloré !
- Moi coloré ? Vous n’avez pas vu mon père : lui il est un vrai arc-en-ciel, notez c’est un mâle. Moi je ne serai fixé qu’à la saison des amours, mais j’espère être une fille. Les femelles oiseau sont moins colorées, ici, ce sera une bonne chose, je serai un peu comme vous, plutôt grise…
Les mâles eurent entre eux des clins d’œil entendus. Ils n’avaient pas besoin d’attendre la saison des amours, eux, pour être fixés quant au sexe de Papouille. Presqu’en cœur ils dirent :
- Tu es splendide, si belle, tant de couleurs. Tu nous fais tourner les ailes.
- Oh moi, c’est vous que je trouve beaux. Vous êtes tout en blanc avec des plumes noires, les plus âgés sont gris ou beige. Vous êtes splendides. J’ai toujours rêvé de vous.
Même si les femelles firent un peu le bec, tout le monde fut immensément flatté. Papouille fut aussitôt entourée de sa nouvelle tribu à laquelle il proposa, avec enthousiasme et autorité :
- Bon, assez bavardé, allons maintenant visiter notre royaume.

samedi 9 août 2008

PAPOUILLE CHEZ LES BRETONS (suite) IV


Dans le sillon de cette larme d’oisillon, de cette larme venue d’un œil qui ne pleure pas, de cette larme de bonheur, Pa’ Poum reprenait ses couleurs. Son arc-en-ciel personnel en bandoulière, oubliant sa fatigue, il cingla toutes plumes dehors vers la falaise de ses rêves. Un mur de granit qui semblait aérien, un ciel où les bleus et les gris oubliaient ou échangeaient leurs noms à force de se mélanger en jouant. Pour Pa’ Poum, dont toute l’enfance avait été bercée par l’escarpolette des palmiers, dans l’explosion des couleurs les unes plus folles que les autres des fleurs, des fruits, des insectes, il y avait jusqu’aux prédateurs qui étaient orange et noir ou jaune tacheté de marron, cette couleur unique, la couleur de la brume et du vent, cette couleur était, pour Pa’ Poum du moins, follement exotique. Elle lui disait : paix, silence, repos, éternité. Et elle avait les couleurs du vieux goéland. Un signe venu du Pays des Plumes Perdues, pour fêter l’arrivée de Pa’ Poum dans son pays rêvé ?
« C’est mon pays ça ! Je l’ai toujours eu en moi. Je ne savais pas qu’il existait en vrai. Hors de moi. Et que d’autres puissent le voir ! C’est le plus beau jour de ma vie ».
Comme par enchantement, une île apparut. Elle se détachait petit à petit de la mer. A moins que ce ne fut la mer qui se retirait. Etrange : une terre qui faisait un avec la mer. Pa’ Poum avisa un groupe de goélands sur un promontoire rocheux. Il accéléra son vol et se posa à leurs côtés. Haletant il cria :
-Salut les potes, c’est le Paradis ici ?
Après de longs regards, les goélands s’étant consultés entre eux, le plus vieux parla au nom de tous :
-Non, c’est la Bretagne !

vendredi 8 août 2008

Papouille chez les Bretons (suite) III


Le voyage vers le Pays de la Neige était long, il sembla interminable à Pa’ Poum qui connut le vrai visage du Dieu Froid et de la déesse Faim. Plusieurs fois il lui arriva de regretter le plumage chaud de sa mère ou le nid doux du feuillage de la forêt tropicale, plusieurs fois il faillit s’abandonner à la caresse mortelle du délire de la faim qui vous fait danser jusqu’à l’épuisement ou à l’ivresse de froid qui, après vous avoir mordu jusqu’au sang, vous incite à jeter vos habits à glisser dans un sommeil sans réveil. Mais chaque fois, à coup de bec, le vieux Gwernig réveillait Pa’ Poum et l’encourageait à continuer. Jusqu’au jour où Gwernig lui-même n’en put plus. Il se posa sur la proue d’un bateau, le but était proche, un jour de voyage encore, pas davantage. Le Goéland demanda à Pa’Poum, de le pousser dans la mer dès que ses pauvres paupières allaient se refermer, pour que son vieux corps ne soit pas souillé par les hommes.
Pa’ Poum ne pleura pas, mais uniquement parce que les oiseaux ne savent pas pleurer. Dès que les yeux de son vieux guide se refermèrent, il le poussa de toutes ses forces par la rambarde et le vit disparaître dans le sillage du bateau. Il eut juste le temps de faire la prière des oiseaux pour lui souhaiter un bon voyage vers le Pays des Plumes Perdues et dut s’enfuir aussitôt. Un marin tendait déjà la main vers lui, les yeux pleins de convoitise pour ses plumes.
Pa’ Poum allait découvrir à quel point il était différent. Si afficher toutes les couleurs de l’arc-en-ciel était naturel et presque banal pour lui et ses congénères des Tropiques, il allait découvrir l’envie, la haine, la jalousie, l’engouement que créait sa différence et que oiseaux et hommes allaient lui renvoyer sans arrêt, alors qu’il ne demandait qu’à se fondre dans le grand fleuve de tout ce qui vit. « Mais il vient d’où, votre petit accent ? »
Mais, soudain, toutes ses craintes se turent. Pa’ Poum crut avoir une vision. Ce n’en était pas une. C’était la réalité : le pays de ses rêves était devant lui ! A deux tirs d’aile. Grand, solide, paré d’une seule couleur : le gris. Les oiseaux ne savent pas pleurer mais, malgré les épreuves de la traversée qui l’avaient mûri, Pa’ Poum n’était qu’un oisillon. Un oisillon qui avait beaucoup souffert. Une larme salée comme la mer s’écoula sur son duvet orange. Car si sa huppe était, bien qu’en piteux état, jaune doré, ses paupières étaient de couleur orange, ses ailes bleues, sa queue rouge et son petit ventre vert. Cette larme, tel un arc-en-ciel réchauffant un ciel d’après l’orage, se fraya un chemin dans son plumage défraîchi.

jeudi 7 août 2008

NOUVELLES DU MONDE


Sur un blog que je croyais intelligent, mais sur lequel je ne mettrai plus jamais le regard, je trouve cette remarque « Alexandre Soljenitsyne est mort. Enfin. ». Heureux les pauvres d’esprit, la bonne conscience et les certitudes sont à eux. Et moi qui me tracasse depuis des jours en culpabilisant parce que le papa de Ivan Denissovitch et du Pavillon des Cancéreux,après avoir triomphé du Goulag et du cancer, se sentait si déçu par l’Occident qu’il se réfugia dans les bras de l’horrible Poutine et de l’église orthodoxe associés, ce qui est tout de même une double preuve de désespoir profond. Je cherchais ma responsabilité dedans, la nôtre, on doit bien en avoir une… Une averse balayant le golfe, je me réfugiai à la Bibliothèque Municipale. Pour lire le Monde d’aujourd’hui. Cela ne dissipa les nuages, bien au contraire… Un rapport rwandais accuse la France d’avoir « participé » (pas seulement fermé l’œil ce qui déjà serait grave !) en 1994 au massacre de 800 000 Tutsis. Fayard se paie un placard avec le portrait de Soljenitsyne et le titre de ses œuvres en vente chez son éditeur précité : pendant, non à la faveur du deuil ! le commerce continue. Fort heureusement ces terribles nouvelles sont contre-balancées par la plume joyeuse de Mirel Bran : dans la ville de Mangalia, où je passais, petite fille, presque toutes mes vacances, mais ne voyez aucun rapport avec ce qui suit, la municipalité a interdit du 1er mai au 15 septembre les cortèges funéraires. La coutume orthodoxe prévoit un pèlerinage du cercueil et de moult amis du défunt par le village, avec arrêts aux carrefours et passage à l’église, avant d’atteindre le terminus du cimetière. Mais il paraît que, dixit, un élu municipal, que cette coutume « nuit au confort des touristes et génère un état de tristesse et de mécontentement ». Quid si c’est un touriste qui décède ? Cela « génère » (ah ce verbe dans ces circonstances funèbres, Caragiale reviens parmi nous !) du contentement ?
Une nouvelle réjouissante : www.zuola.com le blog du jeune Chinois courageux ne fait pas, lui, dans la langue de bois en ces temps de JO et de lâcheté généralisée. Avec un bémol, ce n’est pas à cause du Zola et de son « J’accuse » que ce vaillant journaliste autodidacte rend compte de la vraie Chine d’aujourd’hui, mais en hommage à Gianfranco Zola, joueur de foot italien… Mais il paraît qu’il a appris avec intérêt l’existence d’Emile Zola.
Actualité sin-oise aidant, un autre et bien venu article rappèle le lynchage médiatique auquel a dû faire face Simon Leys en 1971 lors de la publication des « Habits neufs du Président Mao » pour avoir dit, trop tôt, ce que tout le monde sait aujourd’hui : la révolution culturelle n’avait rien de culturel ni de révolutionnaire d’ailleurs. Leys l’écrit infiniment mieux, son livre reparaît en poche, un devoir civique serait de l’acheter. Dans la série « ces crimes restés impunis », une citation de François Mitterrand glanée toujours dans Le Monde :« Le Président Mao est un humaniste ». Il me semblait bien, d’après son comportement, que l’opinion que se faisait Mitterrand de l’humanisme n’était pas celle d’un honnête homme.
Last but not least, ahurie par le comique involontaire (du moins je l’espère, sinon c’est du cynisme) qui se dégage du survol pendant dix minutes d’un grand quotidien français, peut-être que ne pas avoir ouvert ni télévision ni journal depuis une semaine aide à en voir les ridicules, je suis allée au Palais des Glaces, suivre une initiation au verre à la flamme avec Jean-Pierre Baquère (www.idverre.net//baquere) et là, mes bien chères sœurs, mes bien chers frères, j’ai vécu une heure de bonheur, loin des folies du monde et des certitudes unanimes qui s’effondrent comme châteaux de cartes plus vite que ne mûrit une génération, j’ai forgé à la flamme plein de merveilles cristallines, je les ai enluminées de filets de verre, je les ai saupoudrées de paillettes et, au milieu d’autres apprenties tout aussi concentrées et émerveillées, je me suis dit que, assis à son établi, matérialisant ses rêves intimes, on fait et dit toujours moins de bêtises qu’en essayant d’influencer le destin du monde. En disant cela, j’ai déjà trop dit, je file , le soleil est réapparu dehors.
Ah, j’oubliais, vous avez un message : Papouille vous prévient qu’il continue demain sa saga et qu’il est triste parce que personne ne légende les photos de ses péripéties chez les Bretons.

mercredi 6 août 2008

Papouille chez les Bretons (suite ) II


Mais personne ne peut se mettre en travers des rêves d’un enfant, même d’un enfant pa’, et surtout ! quand le rêve est déraisonnable. Pa’ Poum disparut un jour : il s’était pris d’amitié pour un vieux goéland qui lui racontait ses voyages. Vieil oiseau de mer déplumé et crachotant, il avait fait toutes les mers et les océans, il connaissait la banquise boréale et l’Equateur, la fin des terres australes et le couchant du Finistère. Pa’ Poum lui fit part de son désir de le suivre. Le vieux goéland le découragea de toutes les manières, mais, comme tout oisillon qui ne connaît rien de la terre, des mers et des cieux, Pa’ Poum était très décidé. De guerre lasse, le goéland Gwernig accepta :
- Après tout Pa’ Poum , je sens que ce sera mon dernier voyage. Je n’ai pas eu d’enfant et je sais tout sur les mers : c’est à toi que je transmettrai mon savoir. Prions le Soleil que tu arrives vivant là-bas.
Là-bas c’était le Pays de la Neige. Pa’ Pouille, fou de joie, voleta autour du Goéland Gwernig. :
- Nous irons ensemble, nous roulerons dans la neige et je serai aussi blanc que toi, tout aussi blanc, tout le monde croira que tu es mon père, ou ma mère…
- Je t’en prie, Pa’ poum !
- Pardon, … papa.
- Je serai du voyage, mais je ne toucherai plus jamais la terre de neige.
- Pourquoi ? s’enquit Papouille auquel sa mère avait négligé de dire qu’il y a une fin pour tout être vivant.
- Parce que je serai au Pays des Plumes Perdues, avec les oisillons tombés du nid et les œufs qui n’ont pu éclore.
- C’est beau là-bas ?
- Personne ne sait. Personne n’en est revenu.
- Alors c’est qu’on y est trop bien. Après le Pays de la Neige, tu pourras m’amener au Pays des Plumes Perdues ?
- Je ne t’y amènerai pas, mais ne t’inquiète pas, tu iras un jour.

Feuilleton de l'été : Papouille chez les Bretons (I)


Feuilletons et concours d'été sévissent partout. Mon blog, créature hybride (et siamoise) entre le récit et le journal intime, ne pouvait pas se laisser distancer par la vile concurrence de canards infiniment plus riches et plus lus. Alors, lecteurs bijoux, lectrices bien aimés, voici le concours de l'été. Jusqu'à ce que lassitude s'en suive, je ne légende plus mes photos, je les mets on line, et c'est à vous de me proposer des titres, je verrai si vous suivez... Merci et bon travail. En ce qui concerne le feuilleton, vous aurez droit à l'histoire de Papouille dont voici le premier épisode. Bonne lecture!

PAPOUILLE CHEZ LES BRETONS (1)
Ce n’est un secret pour personne : l’oiseau paradis se reproduit rarement et difficilement. Les poussins paradis sont peu nombreux (un par année avec une longue couvée de neuf mois) et fragiles ! Leur maturation est très lente, plus lente que celle de tous les autres oiseaux. L’oisillon paradis, même le plus éveillé, met en moyenne trois fois plus de temps pour apprendre à voler qu’un oiseau ordinaire.
Pour couronner le tout, les rares oiseaux paradis qui arrivent à maturité sont impitoyablement chassés par des braconniers (la chasse en est officiellement interdite) qui revendent cher leurs plumes pour orner des chapeaux que personne ne porte.
L’oiseau pa’ (c’est ainsi que les autres oiseaux les appellent pour plus de commodité, ce n’est pas facile de s’interpeller en vol alors que les vents couvrent les cris et les coassements, quant aux roucoulements, ils sont définitivement réservés à la terre ferme) est couvé, au propre et au figuré par ses parents. Fils ou fille unique presque toujours, il est la prunelle des yeux de ses géniteurs. Et on sait que l’œil des oiseaux est télescopique et polymosaïque !
Cependant, certains oiseaux pa’, plus exactement un oiseau pa’ qui répondait au doux nom de Poum (Pouille pour les moments de tendresse maternelle) échappait à la surveillance plus que de coutume. Caché dans le feuillage de la jungle, il – ou elle- (avant le moment de la ponte les oiseaux pa’ ne savent jamais de quel sexe ils sont) écoutait davantage que les autres les contes des oiseaux migrateurs. Ils parlaient de pays lointains, froids et recouverts à l’occasion d’un manteau blanc. Imaginez l’effet que la description d’une terre blanche (donc dépourvue de couleur) pouvait avoir sur Pa’ Poum qui autour de lui, qu’il s’agisse de son propre pelage, de celui de ses parents, des fleurs et arbres qu’il connaissait, n’avait que l’habitude d’une permanente explosion de couleurs. Les oiseaux migrateurs parlaient du Froid qui semblait être un Dieu puissant qui vous lacère de ses grandes griffes, de la Faim, une divinité au départ méchante, mais qui, à la longue, vous inspire des rêves doux et définitifs et surtout de l’Hiver, ce pays où tout est blanc… La mère avait compris le risque, elle gâtait son enfant autant qu’elle le pouvait.
- Mon Pa’ Pouille chéri, tu es né sous les Tropiques, tout le monde rêve d’y être. N’écoute pas les voix des oiseaux du voyage, leur vie est atroce : chassés de partout, condamnés à un exil continuel où chaque jour peut être le dernier, ils risquent leur vie pour venir chez nous. Et toi, tu veux laisser le Paradis, ton Paradis, pour les suivre ? Pa’ Poum tu es idiot et, en plus, tu n’es pas sage.

lundi 4 août 2008

TRAVAIL CREPUSCULAIRE

Une bonne partie de la journée, je me suis plongée dans les questions fines, précises, fouillées de l’interview que Radu Negresco-Soutzo prépare pour un journal américain au sujet de mon roman L’Exil d’Alexandra et des liens avec la pièce qui lui a servi de matrice, Toujours ensemble ou Puck en Roumanie. J’ai voyagé dans le temps, tenté de me souvenir, compris des choses que j’avais écrites « à l’instinct ». J’aime les journalistes, il est rare qu’ils ne m’éclairent pas des passages de mes propres textes. Mais cela doit intervenir une fois la pièce, le roman finis. Pendant l’écriture, il faut me laisser, pauvre Pythie, prophétiser en me grisant des vapeurs de mes herbes sacrées, il faut que je tourne tel un derviche jusqu’à être sur l’orbite de mon âme, cercle vertueux que le quotidien me fait quitter trop souvent. Ensuite, manuscrit édité, pièce jouée, je redeviens un être de raison et on peut m’expliquer ce que j’ai écrit. L’intérêt que je pris à répondre aux questions( qui étaient presque toutes des analyses pleines de sensibilité et d’empathie) m’a fait oublier l’heure. J’ai oublié d’allumer la lumière, je travaillais à la lueur de mon Mac. Je ne suis revenue à la réalité qu’au moment magique où les fenêtres de la cité corsaire, sous le baiser du soleil couchant, semblent éclairées par un incendie. Celui de l’histoire qui forge les personnages de L’Exil d’Alexandra ?

dimanche 3 août 2008

REALITE ET FICTION


Je tenais cette image en réserve depuis juin quand j'avais été à Séville : eh oui, c'est l'endroit où naquit Don Juan Tenorio, modèle de tous les Don Juan littéraires (et pas seulement?) à venir. Sous la plume de Zorilla, ce fait divers devenu légende essaima des versions de séducteurs dans le monde entier. L'amie Luna Virol m'écrit qu'elle cherche mes textes sur Don Juan, surtout ma "Dona Juana" je suppose, et qu'elle va en Andalousie cet été. Cela ne pouvait pas mieux tomber : chère Luna, voici la plaque commémorative, voici l'endroit d'où tout est parti y compris Don Juan de de Ponte-Mozart, Molière ( prononcer DoM Juan), Byron et Milosz. Mais savez-vous le plus beau? Don Juan Tenorio, amoureux de Dona Ines la séduisit, peut-être l'aimait-il vraiment? en tout cas, des moines, pour l'arrêter de sévir et le punir, lui firent la peau et enterrèrent le cadavre dans le patio de leur couvent. Or la nuit, au dessus de la tombe, dans les statues avoisinantes, Don Juan parlait, chantait , hululait pour leur rappeler leur sinistre forfait. La réalité est toujours plus belle que la fiction : c'était bien le suborneur qui revenait d'outre-tombe pour faire la leçon à ses assassins qui se disaient vertueux. En réalité, don Juan était aussi le Commandeur... Enfin cela tient si on considère qu'un type qui hulule après sa mort dans les cloîtres fait partie de la réalité... Mais c'est l'Espagne, pire : Séville, où il y a séducteurs et... barbiers uniques. Bon voyage d'études, Luna!

samedi 2 août 2008

MAISON DU VOYAGEUR


Belle rencontre immédiate, reconnaissance d’un monde d’excellence, de rigueur et de saveur avec Olivier Roellinger. J’ai déjà parlé de son restaurant Le Coquillage enchâssé comme une pierre fine dans la splendeur du Château Richeux. Ce que lui et sa femme Jeanne appellent « leur folie ». Hier c’était ce qu’ils appellent leurs racines, la Maison du Voyageur à Cancale où le grand chef vécut enfant. Cette troisième étoile au Michelin tant convoitée par tous brille dans cette maison exceptionnelle dans une constellation où tout est remarquable : le service, l’accueil, le décor, restauré avec respect de la tradition et raffinement par Jeanne, la pièce d’eau du jardin où s’ébattent les canards, les parfums et les saveurs, l’invention, la fraîcheur, les épices glanés au fil de ses voyages aux antipodes par Olivier Roellinger. Je reviendrai sur tout cela et aussi sur les trois très beaux livres du chef, illustrés par d’excellents photographes et édités chez Flammarion, sur le film, mais, à la veille de ce week end, charnière ouverte au creux de l’été, j’avais envie de partager avec vous cette très belle phrase d’un grand cuisiner qui est aussi un poète et un voyageur :
« La vie sera un jeu et jamais, jamais je ne deviendrai grand »
Qu’Oliver Roellinger se rassure : il restera toujours un Petit Prince qui s’émerveille et nous émerveille.