vendredi 8 août 2008

Papouille chez les Bretons (suite) III


Le voyage vers le Pays de la Neige était long, il sembla interminable à Pa’ Poum qui connut le vrai visage du Dieu Froid et de la déesse Faim. Plusieurs fois il lui arriva de regretter le plumage chaud de sa mère ou le nid doux du feuillage de la forêt tropicale, plusieurs fois il faillit s’abandonner à la caresse mortelle du délire de la faim qui vous fait danser jusqu’à l’épuisement ou à l’ivresse de froid qui, après vous avoir mordu jusqu’au sang, vous incite à jeter vos habits à glisser dans un sommeil sans réveil. Mais chaque fois, à coup de bec, le vieux Gwernig réveillait Pa’ Poum et l’encourageait à continuer. Jusqu’au jour où Gwernig lui-même n’en put plus. Il se posa sur la proue d’un bateau, le but était proche, un jour de voyage encore, pas davantage. Le Goéland demanda à Pa’Poum, de le pousser dans la mer dès que ses pauvres paupières allaient se refermer, pour que son vieux corps ne soit pas souillé par les hommes.
Pa’ Poum ne pleura pas, mais uniquement parce que les oiseaux ne savent pas pleurer. Dès que les yeux de son vieux guide se refermèrent, il le poussa de toutes ses forces par la rambarde et le vit disparaître dans le sillage du bateau. Il eut juste le temps de faire la prière des oiseaux pour lui souhaiter un bon voyage vers le Pays des Plumes Perdues et dut s’enfuir aussitôt. Un marin tendait déjà la main vers lui, les yeux pleins de convoitise pour ses plumes.
Pa’ Poum allait découvrir à quel point il était différent. Si afficher toutes les couleurs de l’arc-en-ciel était naturel et presque banal pour lui et ses congénères des Tropiques, il allait découvrir l’envie, la haine, la jalousie, l’engouement que créait sa différence et que oiseaux et hommes allaient lui renvoyer sans arrêt, alors qu’il ne demandait qu’à se fondre dans le grand fleuve de tout ce qui vit. « Mais il vient d’où, votre petit accent ? »
Mais, soudain, toutes ses craintes se turent. Pa’ Poum crut avoir une vision. Ce n’en était pas une. C’était la réalité : le pays de ses rêves était devant lui ! A deux tirs d’aile. Grand, solide, paré d’une seule couleur : le gris. Les oiseaux ne savent pas pleurer mais, malgré les épreuves de la traversée qui l’avaient mûri, Pa’ Poum n’était qu’un oisillon. Un oisillon qui avait beaucoup souffert. Une larme salée comme la mer s’écoula sur son duvet orange. Car si sa huppe était, bien qu’en piteux état, jaune doré, ses paupières étaient de couleur orange, ses ailes bleues, sa queue rouge et son petit ventre vert. Cette larme, tel un arc-en-ciel réchauffant un ciel d’après l’orage, se fraya un chemin dans son plumage défraîchi.

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