vendredi 22 août 2008
Archives de la Sécuritate (1)
Mes bien chères sœurs, mes bien chers frères, lecteurs adorés, je me suis préparée pour cette étude, comme jamais de ma vie. Quatre jours à l’avance, j’avais arrêté le café (ma pire addiction), j’avais essayé (avec un succès très moyen) de me coucher tôt, j’avais préparé cahier de notes et appareil photo et le jour précédant la convocation, je n’ai essayé de parler que le roumain, pour me refamiliariser avec la langue des documents. Une charmante jeune femme m’avait donné téléphoniquement la bonne nouvelle qu’à part le dossier de mon père (deux volumes à 329 pages) on avait également trouvé un dossier à mon nom. Je pouvais étudier l’ensemble le lundi 18 août 2008 de 9 à 16 heures 30. On n'était pas en mesure de me préciser le nombre de pages de mon propre dossier. Le matin du 18 août, me rendant au siège dudit Conseil National pour l’Etude des Archives de la Securitate, rue Matei Basarab 55-57, j’avais les yeux bien ouverts, l’esprit clair et la crainte de ne pas pouvoir tout lire en un seul jour. Première surprise, le centre en question était flambant neuf ( voir photo, remarquez tout de même l’extincteur mobile qui bloque la porte) alors que dans les environs trottoirs défoncés voisinaient avec bâtiments dont on ne savait pas trop s’ils étaient en construction ou en destruction. Sur un parking voisin, une demi-douzaine d’employés essayaient de vendre des assurances auto aux passants; leur kiosque avait été supprimé suite à un changement de pouvoir en mairie et ils protestaient de la sorte contre la disparition de leur lieu de travail. Pour les photocopies, on nous avait recommandé une officine : « entre le terrain vague et le bâtiment étayé par des échafaudages ». Evitant un fou en pleine crise qui terrorisait les passants, on vit par les fenêtres de l’officine qu’elle était en plein déménagement. Il faisait 37°. Sans ombre. Je vous plante le décor pour vous faire comprendre notre surprise en entrant dans un local climatisé, repeint à neuf… Le policier de l’accueil avait l’air presque aimable, ce qui ne l’empêcha pas de vérifier nos passeports, re-vérification et photocopie des document à l’entrée de la salle de lecture. Où était déjà installée une trentaine de personnes dont je fis chuter fortement la moyenne d’âge, mais, sur ce terrain-là, je fus battue à mon tour par un jeune qui aurait pu être mon fils. Il était moine et portait longue soutane, catogan et calote de feutre noirs. Il s’était muni d’un ordinateur blanc, assez moderne, et me sembla très studieux. Rapidement, je reçus mes trois dossiers et je commençai la lecture. Je découvris que nous étions filés, photographiés à notre insu, etc. Je me revis à l’âge de 16 ans, dans la rue, à côté de mon père qu’on appelait « l’objectif ». Moi j’étais qualifiée de « l’individuE », cela sonne tout aussi barbare en roumain. Grâce aux « sources » (nom des indicateurs) je me revis, vintage à mort, très flower power toute en cheveux, époque Beatles, avec un petit panier en osier dont « la source » ne précisait pas le contenu. Le reste du dossier était en grande partie constitué par les lettres que nous adressâmes à ma mère, restée à Bucarest pendant quatre ans, jusqu’à son arrivée en Suisse. Tant nos lettres que ses réponses étaient photocopiées intégralement et « vlan au dossier ! » Le censeur soulignait des passages en rouge. Ma mère parfaitement révolutionnaire, en tout cas plus que la Securitate, faisait état des droits du citoyen libre, de la liberté de circulation selon la Constitution, etc, Pavlovien, le censeur soulignait compulsivement le mot libre. Il fit une exception pour égalité, qu’il enlumina aussi, (encore heureux que ma mère n’aie pas évoqué la fraternité ! ) c’était dans un contexte genre : quelle égalité devant la loi, alors qu’on donne des passeports à de fieffés imbéciles et pas à moi ? Ni les fieffés ni les imbéciles n’étaient soulignés. Modestie ? Quant aux noms de code que nous utilisions, et le censeur et les « sources " n’y avaient vu que du feu. Des prénoms de code que nous utilisions pour la plupart des amis, non plus. Les rares fois où j’avais oublié la consigne, en demandant par exemple « je te prie de souhaiter un bon anniversaire à Vlad le 30 juin », la lettre était annotée à la main « Qui est Vlad ? Vérifiez avec date de naissance ». Quelques jours plus tard on trouvait une fiche au nom du dit Vlad avec ascendants, descendants, profession, descriptions diverses, enquête de voisinage. J’ai eu le malheur d’envoyer un faire part en 1978 à dix personnes dont mon ancienne couturière, des collègues de lycée, d’anciens professeurs, des amis de mon père. Aussitôt, chacun avait sa fiche. Ma mère annonçait à un parent lointain que j’allais probablement lui rendre visite en Roumanie ? Annotation illico sur sa lettre : « Prévoyez micros’ pendant visite. Probablement dans la pièce la plus grande. » Puis interrogatoire du parent en question « grandement facilité par le fait que son fils espérait suivre une école de sous–lieutenants de police ». Ah je respire ! Je craignais une famille sans traître. Je n’aurais eu rien à vous raconter. La suite demain…
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