samedi 10 août 2013

Sixième devoir de vacances : la distanciation

Quand on a déjà fondé une famille (éventuellement plusieurs), élevé un enfant (voir plusieurs), écrit quelques livres, bâti quelques maisons ou ce qu'il y a d'équivalent selon les professions, qui dira le bonheur exquis d'observer sur la plage des jeunes familles! Les mères s'occupent à s'angoisser puis à angoisser les autres en criant, les pères s'en fichent et après les "et, toi tu dis rien, tu vois ton fils et tu dis rien...!" talochent ou morigènent sans conviction, les bébés pleurent, les enfants hurlent, les belles-mères disent qu'elles ne se prenaient pas comme ça avec leurs mômes, les grands-pères ronflent ou racontent leur défunte vie professionnelle glorieuse, le beau-frère s'obstine à raconter qu'il s'est acheté une Porsche, le pique-nique se renverse dans le sable, le ballon de foot s'est dégonflé au fond du panier de plage, le téléphone portable égaré est retrouvé comme antenne du château de sable des enfants, les plus petits se sont fait piquer par des méduses et les plus grands tirent un visage de trois aunes parce qu'ils sont ados. On a perdu la clef de l'hôtel parmi les rochers, l'aîné avoue avoir oublié d'envoyer le dossier d'inscription à l'université qu'on lui avait préparé en travaillant trois jours d'arrache-pied, la cadette veut épouser un jean-foutre dont on ne veut pas et la benjamine annonce qu'elle va divorcer. La marée a emporté le tuba, on sera encore en retard à la crêperie et "je te l'ai dit cent fois..." Au moment précis où l'hystérie familiale atteint son comble, où chacun souffre, mais reste absolument imperméable aux autres, on se dit qu'on a déjà fondé une famille (ou plusieurs), qu'on a élevé les enfants, enterré la belle-mère, écrit ses livres, commencé à accumuler un nom correct de trimestres (ou non et là c'est pareil car c'est trop tard) et, avec un sentiment de totale plénitude, couché dans le sable sur son drap de plage une place, on regarde le paysage (cité d'Aleth dans le cas précis) et on se dit que la vie est belle, le monde merveilleux et que le plus beau de la vie est devant nous. Généralement, à ce moment là le soleil sort des nuages pour couronner notre sérénité durement acquise.

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