dimanche 3 novembre 2013
Dimanche de la Toussaint avec des gens bien
D’habitude, je ne suis pas une femme d’habitudes. Je n’arrive donc plus à lire un seul livre à la fois. Je me disperse, je réponds à mille curiosités, je me laisse alpaguer par une quatrième de couverture attrayante, par un nouveau désir ou par de liens anciens. Walter Isaacson avec sa biographie Steve Jobs a réussi le prodige, merci, de me rendre à mes enthousiasmes adolescents qui vous attachent à un livre sans vous laisser le loisir dormir ou manger, sauf un sandwich tout en continuant la lecture.
Bonheur absolu de ces temps de pleine conscience de lectrice, tu me reviens et je te chéris encore davantage aujourd’hui car je sais que tu n’es pas acquis.
Trois joies : d’abord, j’ai retrouvé cette sensation enfantine presqu’oubliée : la peur que le livre s’achève. Comme l’angoisse de finir un gâteau, vous vous en souvenez ? on regardait la dernière bouchée et notre palais, comme notre tête, étaient déchirés entre le plaisir bien présent et l’anticipation de sa fin.
Donc : à quinze pages de la fin (sur 640), je me suis arrêtée pour vous écrire. Cela fera vivre Jobs encore dix minutes. La sensation enfantine que je retrouve ? La pensée magique. Tant que je ne lis pas la fin, il ne meurt pas. Je me rappelle mon père me lisant La Petite marchante d’allumettes d’Andersen pour la nième fois. Quand il tournait l’avant-dernière page du livre, je tentais un « Mais cette fois, elle ne meurt pas, n’est ce pas ? ». Mon père, cartésien et courageux, m’élevant selon ce principe dont j’ai compris bien tard l’originalité, l’ l’humour et la pertinence (Sois un homme, ma fille ! ) m’avouait que le petite marchande allait mourir chaque fois qu’on lisait son histoire.
Persévérante, je lui demandais « Et si tu ne me lis pas la fin, elle reste vivante ? ».
C’est avec une grande tristesse que j’ai appris que, de par le monde, tout lecteur qui achevait le conte, allait tuer la protagoniste. Meurtrier lecteur mon frère…
Le deuxième bonheur de ce livre, que je lis évidemment en retard sur tout le monde, (je ne peux rien faire comme tout le monde, c’est comme cala) bien que je l’ai acquis presque le jour de sa sortie (comme je l’ai fait aussi pour Suicide mode d’emploi, craignant l’interdiction et du coup l’absence du manuel, le jour où j’en aurai besoin, péril en la demeure…) fut sa qualité de biographie. Je sors de l’écriture et de la promotion d’une biographie (la première) de Jean Anouilh que j’ai connu et admiré, et qui m’a rendu au centuple mon amitié affectueuse. Eh bien, Walter Isaacson étant choisi par Steven Jobs malade afin d’écrire le livre grâce auquel ses enfants allaient savoir la vérité sur lui, Isaacson a eu aussi le bonheur rare et f fertile de connaître personnellement le sujet de sa bio.
Chance inestimable, quasi imméritée, que j’ai eue aussi pour Jean Anouilh. En toute objectivité, Isaacson arrive à nous rendre Jobs vivant, premier mérite d’une bio, et pas blanc ou noir mais d’un beau gris perle, métal brossé comme le Mac Book Air sur lequel je vous écris. Allez, je ne vais pas encombrer votre dimanche de la Toussaint avec trop de lecture, bien que ce soit un moment idoine pour les commémorations :…
… Mon troisième bonheur, après le retour des peurs excitantes de l’enfance et l’admiration en connaissance de cause d’une bio ‘dont l’auteur connaît le protagoniste, le troisième bonheur est le message. J’ai honte de posséder un I pad, un I phone et un Mac assortis de leurs manuels, tout en sachant que je n’en utilise que 10 % (et là je me vante) de ses possibilités. Surtout que j’ai des Macs depuis 1987 ! A partir de demain, promis, juré, je me mets à lire les manuels pour les Nuls. De la sorte, après les joies de l’enfance je découvrirai ceux de l’adolescence où la lecture et les TP d’un mode d’emploi me propulsaient dans un monde de savoir, de précision et de sécurité que l’âge adulte a tort de nous faire quitter. A la frontière de la technologie et de l’art, ce héros moderne a change notre monde. Merci.
In memoriam, j’appellerai ensuite une grande amie en fin de vie et une autre qui, injustement, vient de perdre don travail, alors qu’elle est la meilleure en son domaine. La vie est courte : les devoirs d’admiration, de gratitude et d’empathie la prolongent et la rendent plus intense.
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