mardi 27 juin 2017

Après le déluge : nous !


Voici l'ébauche d'article pour un docte colloque d'universitaires roumains...
écrit à la vitesse du TGV  (qui devient InOui. D'où la proposition : ... "écrit à une vitesse inouïe" droits d'auteur LV)
Svp si erreurs, signalez! ma réputation roumaine en dépend
merci d'avance
Anca

Après le déluge : nous !

Dans ce docte volume universitaire, l’auteur, bien que docteur, mais dans une autre discipline, ne peut que jouer le conteur ou le clown, selon les goûts. Le fou du roi est le rôle préféré de l’artiste et du penseur qui ne succombent pas aux séductions des vanités passagères.
Le grand Vladimir Nabokov, lui-même docteur dans une autre discipline que la littérature, ne déclarait-il pas : « En tant qu’homme de science, comme en tant qu’auteur, j’ai toujours été intéressé par le fait individuel, concret, plutôt que par la théorie générale. » ?
Dont acte. Plus des parenthèses que j’affectionne puisqu’elles suivent l’arborescence de la montée de sève qui me sert de pensée.
Selon un de ces « bancuri » qui avaient cours dans la Roumanie de l’époque d’or, haïkaï du désespoir et de la survie, sentences qui concentraient à la fois la quintessence de l’humour et l’absurde de la situation politique, le Pessimiste affirmait :
- On a atteint le fond, pire, ce n’est pas possible.
Sur quoi l’Optimiste surenchérissait :
-  Si, c’est possible, et même bien pire !

Mme de Pompadour, à laquelle la phrase est parfois attribuée, aurait dit à son Louis XV d’amant qui s’inquiétait du mécontentement du peuple :
- Après nous, le déluge !
Je réplique, en surenchérissant, indécrottable optimiste :
- Et après le déluge ? nous !
- Encore ?!
Ce dernier mot est celui du Réaliste, non socialiste, per fortuna & per favore.

Au centre du balancier, entre l'ancien et le nouveau, au degré zéro de l’espérance comme de la crainte, en début de siècle et de millénaire (le siècle n’a que dix-sept ans et cela s’annonce déjà compliqué !), les extrêmes … se valent. Signe que mon auteur préféré, Ion Luca Caragiale, que j’adoube à mon tour du titre honorifique « babacul » (incroyable préscience du vocabulaire car  babacul, - « le daron » en roumain- se prononce exactement comme baba-cool, étonnant, n’est-ce pas ? Fermez la parenthèse), surnom qu'il décerne, lui, l’éternel persifleur de Haimanale, jouant les idiots, mais homme de goût très sûr, à son dieu tutélaire, Ludwig van Beethoven, donc de même que Babacul compositeur a imaginé deux siècles plus tôt l’hymne européen, Ion Luca, auteur dramatique, avait aussi tout prévu dans sa formule du déjà-vu, version comique : « Pleaca ai nostrii ,vin ai nostrii » (Les nôtres sont partis, arrivent… les nôtres ). Ou encore « Sau cu totii sa invingem, sau cu totii sa pieriti «  (Soit nous vaincrons tous ensemble, soit vous périrez tous ensemble ).
C'est la version édulcorée ou synthétique, bref : latino-balkanique du « Le roi est mort, vive le roi ! »  et du «  Après nous, le déluge ».
 Avant nous le déluge, après nous le déluge, bref nous pataugeons car c’est le déluge tout le temps. Comme la bêtise. Comme le risque de mourir. Comme celui de tomber amoureux. Le meilleur et le pire, s’appuyant sur le bras l’un de l’autre comme le vice et le crime de Chateaubriand observant Talleyrand et Fouquet, quémandant ensemble une place devant l’assiette au beurre du roi, après avoir trahi cent fois. Comme vous pouvez le constater j’ai mes lettres, mais je ne résiste pas d’y joindre (une fois de plus, générosité, tu me perdras !) le proverbe roumain :
« Même pendu, on est bien, si l’on s’habitue. » (Si spinzurat este bine, daca te obisnuiesti)

Une anecdote me revient. Le regretté Eugène Ionesco, qui à part être un grand écrivain, était un homme honnête, fin et béni de cette distanciation (que je traduis par : indifférence aux vanités) me racontait dans un entretien,  dans son nid du boulevard Montparnasse qui avait l’air d’une arche de Noé de l’esprit dans un monde agité d’utopies diverses, séduisantes, mais ayant toutes fait long feu et même pire…, une anecdote mettant en scène l’écrivain et un critique.
Je me suis fait une joie de la publier dans tous les journaux où j’écrivais à l’époque pour que le respecté public ait une idée de ce que subissait quotidiennement un auteur de qualité en butte aux sottises et aux aveuglements idéologiques, de quelques bords qu’ils viennent.
« Aveti putintica rabdare » (ayez un peu de patience- réplique de ILC), je vais commettre une parenthèse explicative avant l’anecdote de Ionesco.

Parenthèse explicative :
A l’époque, le haut du pavé germanopratin division théâtre était tenu par un critique dont il sera question dans l’anecdote. De mortis nisi bonum, ne donnons que ses initiales : BD, un homme que j’ai connu sur le tard, peut-être un peu diminué ? Circonstance atténuante, mon indulgence me perdra. Bref, pour me rendre chez lui, comme un passage sous les fourches caudines de la papauté universitaire de la très puissante gauche-caviar, j’avais pris un taxi. Comme presque  chaque jour. Mais, en un demi-siècle, ce fut la première fois que cette chose m’arriva. Encore heureux !
Roulant vers la montagne Ste Geneviève où créchait le pontife dramaturgique, le chauffeur écrasa, aucunement intentionnellement, un chien. Pauvre âme innocente ! Connaissant la stricte discipline du grand critique satrape, je payai la course, abandonnai le chauffeur à l’ire des passants, non sans avoir excipé timidement de sa bonne foi, et continuai mon chemin à pied.
Dès que la star du commentaire théâtral, barbe blanche taillée au millimètre près et belle chevelure assortie (c’est narcissique, un coupeur de têtes qui dépassent, pauvre Bitos priez pour nous !), Savonarole du l’heure-c’est-l’heure, m’ouvrit sa porte, la soussignée, innocente, responsable mais pas coupable, en nage (pour cause d’ascension de la Montagne Sainte- Geneviève), prit l’initiative avec son plus humble sourire et cette excuse qui aurait certainement plu au maître de l’absurde qu’était Ionesco :
- Pardon, je ne suis pas à l’heure car on a tué le chien.

Hélas, le critique n’était pas auteur. Cette phrase qui aurait fait rire un Garcia-Marquez, un Anouilh, un Cioran, dans ceux que j’ai rencontrés, ou un Feydeau ou un Tchékhov, dans ceux que j’ai ratés en raison de ma naissance tardive dans un autre siècle que le leur… passa inaperçue. Ah postérité, que d’occasions de t’amuser, tu rates !
Je vous laisse deviner la suite de l’entretien. Nous n’avions pas le même humour. Plus exactement : moi, j’en avais. Maintenant que vous avez suivi l’histoire tortueuse et que le célèbre critique a rejoint le paradis des critiques (humour !)Voici :

 L’anecdote de Ionesco
IONESCO : Après m’avoir couvert d’insultes et de critiques, lorsque j’ai commencé à être reconnu, Bernard Dort a bien dû accepter que j’étais un auteur et il est venu me dire : « Bien Ionesco, maintenant, vous avez tout démoli, démonté, bien. Maintenant il est temps de construire ».
Je ne sais pas ce que cette phrase constructiviste éveille chez un être normal. Chez un auteur d’origine roumaine (ou ayant vécu sous toute autre dictature ; on a échangé à ce sujet avec Alain Mabankou : l’excellent auteur de langue française, d’origine congolaise qu’il est avait les mêmes ressentis), cela provoque un immense éclat de rire. Entre « c’est sur moi que vous comptez pour cela : reconstruire la société ? » et mille autres répliques absurdes, car ce n’est pas la créativité qui nous manque.
Après avoir ri (« je m’empresse de rire de peur d’en pleurer ») quand Ionesco m’a raconté cette histoire, je lui ai demandé :
 -Et il a ri, B.D. ?
Long regard des yeux d’enfant bien ronds de maître :
-Lui ? Rire ?
Donc même bide que moi avec l’histoire du chien. Qui, sans ma visite à B.D., vivrait encore, paix à son âme innocente.
Mon honnêteté foncière, malheur de ma vie, m’oblige à vous préciser qu’il ne s’agit pas ici d’un choix politique car J-J Gauthier, critique de droite, fut aussi haineux envers Ionesco et ne reconnut son talent que forcé par les succès de l’auteur. Et je n’ai aucune frustration par rapport aux critiques dramatiques en général, bien au contraire, car j’ai exercé ce noble magistère dans le plaisir et, je l’espère, honnêtement et avec empathie sincère, pendant une bonne vingtaine d’années.

Moralité de l’histoire :
Je ne sais si les auteurs sont faits pour construire autre chose que leurs œuvres, je pense qu’ils sont davantage vigies, capitaines qui coulent avec le bateau… les auteurs, les artistes en général mais aussi les penseurs et les honnêtes gens.
Alors, pour paraphraser Édouard de Pompery  dans Vie de Voltaire : « quand on a assez d’intelligence pour comprendre la situation mais pas assez de moyens ou de force pour la redresser » on subit le déluge avec les autres et, au mieux, si l’on n’est pas trop dégoûté ou blessé, on témoigne.
Je vous livre, pour le plaisir, la phrase originale : « Avec assez d'intelligence pour voir le mal, il n'a pas assez de force pour y porter remède ; il prévoit que cette situation ne peut durer et se terminera prochainement par une catastrophe ; il le dit, après moi le déluge, et s'en lave les mains ». »

Personnellement, je ne confonds jamais histoire et politique, car, pour la seconde, je m’en tiens au sage précepte de Tchékhov : « Un écrivain ne doit, sous aucun prétexte se mêler de politique, sauf pour s’en défendre. »
Mais comme toutes les bonnes choses vont par trois, je ne résiste pas à joindre, aux deux anecdotes (le canidé défunt et le plan quinquennal conseillé à Ionesco par B.D.) une autre, vécue.
J’avais écrit Toujours ensemble, pièce jouée depuis dans le monde entier, de Broadway à Munich, de Genova à Chicago… tiens, pas encore en Roumanie, sauf par des troupes étrangères en tournée…Pour illustrer de façon triviale mon propos prenons deux moments : avant et après 1989 ; unité de lieu : Paris.
Votre humble servante, ayant écrit sa pièce sur l’exil, humble tribut au pays d’origine et de formation, sorte de témoignage pour s’excuser de ne pas avoir vécu l’époque d’or jusqu’au bout, proposant sa Toujours ensemble à des directeurs de théâtre. Réponses :

Avant 89 :
- Vous exagérez, cela ne peut pas se passer ainsi là-bas. On le saurait.
La pièce est créée en Allemagne. Puis jouée à Broadway.

Après 89 :
Décor et personnages : Paris, mêmes directeurs, moi toujours humble servante de Thalie et Melpomène, proposant la même pièce désormais célèbre. Réponse :
- Mais vous auriez dû nous avertir de la situation, on ne pouvait pas savoir…


Bref, tout est à refaire chaque jour. Toute nouvelle journée est le premier jour d'une de tes nouvelles vies. Déluge ou pas. C’est pour cela que, j’ai écrit, entre autres, dans ma pièce Noé, que l’artiste et l’honnête homme ne sont responsables que devant leur conscience. C’est-à-dire devant Dieu, raison pour laquelle je l’ai donné comme partenaire à mon Noé, en 1973 cette année terrible où j’ai dû choisir l’exil, puisqu’il m’était possible. Exil qui dure encore. Comme mon existence sur cette terre. On n’en guérit jamais. Comme de la vie.

5 commentaires:

Unknown a dit…

Tendre hérissons
Fragilité protégée
Hérissée de mille pics
Solitude de la carapace
Symbolique en devenir
L'homme animal
L'homme devenu proie

Unknown a dit…

Tendre hérissons
Fragilité protégée
Hérissée de mille pics
Solitude de la carapace
Symbolique en devenir
L'homme animal
L'homme devenu proie

Anonyme a dit…

Merci, nous sommes les plus beaux de la création,après l'homme. Surtout les bébés
Un hérisson de passage

Anonyme a dit…

Parfaitement d'accord avec les principes, mais je trouve que ces deux hérissons, dont je n'arrive pas à déceler les sexes sont très exhibitionnistes. Des enfants innocents pourraient regarder votre blog. Or vous dites que l'auteur doit être une vigie! Vigilance!
un coupeur de têtes qui dépassent qui tient à rester anonyme

Anonyme a dit…

Les hérissons ne sont pas hermaphrodites?
Signé une brosse à cheveux en pleine confusion