mercredi 26 novembre 2008

DE L’ART DE BOUCHE- dans la série mes restaurants préférés


Bon, j’ai bien hésité avant de vous raconter ma soirée d’hier. Puis je me suis dit que j’avais créé mon blog pour vous dire mes enthousiasmes et mes découvertes artistiques et que je ne devais pas m’autocensurer (ils vont croire que je suis prétentieuse, que je me la joue, etc) alors que j’avais vécu un bel éblouissement que j’ai envie de vous conseiller. Dont acte. Ce fut une parenthèse enchantée dans la grisaille des jours et les soucis d’une époque tourmentée, bousculée de toutes parts, un voyage dans le temps sous les ailes de l’esprit d’excellence. Le Grand Véfour, ce premier restaurant français, créé en 1784 dans l’écrin du Palais Royal vibre toujours des fastes émouvants du décor d’origine, rehaussé de sous-verre délicats, étincelant des feux de candélabres en cristal, adouci par le moelleux théâtral de velours rouge. Un théâtre magique ! Pas étonnant qu’après le tumulte de la bataille d’Hernani Victor Hugo et ses amis soient venus précisément ici pour se restaurer et inaugurer une époque théâtrale d’audace et génie. Nous étions installés à la table de Colette qui venait en voisine et les souvenirs de tant d’aimables spectres chéris présidaient à la soirée : des révolutionnaires de 1789 aux artistes, l’excellence du lieu mettant d’accord tous les bords politiques puisque de Cocteau à Aragon, de Guitry à Sartre, de Malraux à Jouvet, ils fréquentèrent tous cette table célèbre. Pour les autres dames, Simone de Beauvoir et la belle Otéro pour ne donner que deux extrêmes. A mon arrivée à Paris, installée à deux pas, rue du Jour, je rêvais déjà de m’y rendre. La nouvelle de l’attentat m’avait peinée, j’avais suivi le combat des victimes, menées par la courageuse Françoise Roudetsky. Et voilà qu’au bout de beaucoup d’années, une charmante invitation m’aida enfin à réaliser ce rêve. Qui dépassa mes espérances. La gastronomie est un art, je le pense et le ressens. J’ai eu l’occasion d’en parler en découvrant dans leurs œuvres Monsieur Roellinger et d’autres artistes cusiniers que j’ai évoqués dans ces pages. Guy Martin, l’actuel chef du Grand Véfour s’inscrit dans la continuité d’une réflexion et d’une création de grand niveau. Passionné de peinture qui lui inspire d’ailleurs la plupart de ses créations, auteur d’excellents ouvrages sur la cuisine aux Editions du Chêne et du Seuil parmi d’autres, il transmue, dans le sens purement alchimique du terme, des ingrédients de grande qualité venus des plus belles régions de France (ah ma Bretagne, son homard bleu, son sel de Guérande !) en plats exquis. Des œuvres d’art. Le chef écrit qu’il regrette le côté éphémère des créations gastronomiques, mais, foi d’Anca, lorsque un des mets arriva hier sur la table, un souvenir vieux de décennies surgit et j’articulai sans hésitations « ravioles de foie gras ». Je les avais reconnues aussitôt, alors que mon coup de foudre pour ces merveilles datait du milieu des années quatre-vingts quand Guy Martin était chef au Château de Divonne et qu’avec quelques amis gourmets de Lausanne nous nous offrions, aux grandes occasions, un de ses repas en traversant le lac Léman en bateau. Il y a des madeleines de Proust dans la haute gastronomie aussi. Je garderai précieusement le souvenir de cette soirée toute de raffinement, de simplicité (l’endroit est stylé mais sans aucune prétention), de passion et de savoir partagée par tout le personnel du maître d’hôtel au sommelier, un beau cadeau que je reçus le jour de la Sainte Catherine, une lumière dans la nuit que je vous conseille et souhaite. Je commence une cagnotte pour essayer de revenir au plus vite.

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