lundi 12 janvier 2009
Confession d’une pomme (par Anca Visdei)
Ne vous fiez pas aux apparences ! Qui, en ce moment, sont toutes contre moi. Vous voyez bien qu’il y a une erreur là, n’est-ce pas ? Il y a quelque chose qui ne va pas. Pas du tout ! C’est évident pourtant…Comment, vous ne voyez pas ? Cela saute aux yeux. Il y a une baisse de niveau, une inculture générale qui me terrifient. Quel public ! Enfin : vaut mieux voir ça que d’être tombée de l’arbre…
Faisons de la pédagogie puisque vos parents et vos enseignants ne l’ont pas faite… Qui suis-je ? Une pomme ! Exact, je vous accorde de parler de moi sans pedigree. Car la désignation exacte serait pomme du Paradis des Hespérides de Pâris de Troie et des Contes Balkaniques. Je vous parle de la dynastie car, à part cela, nous avons tous des titres personnels : le chevalier de Grany Smith, la comtesse de Royal Gala, le baron de Golden et le vicomte de Jonathan pour ne citer qu’eux.
Je suis donc une pomme de haute lignée, comme toutes les pommes. Et vous me voyez où ? Dans un potager… Une pomme dans un potager… Visiblement, cela ne vous trouble pas…Mais comment faites-vous, dites-le moi. Je voudrais être comme vous. Vous avez pris des champignons, fumé la moquette ? A moins que ce soit de naissance… J’arrête : le Patron m’a dit qu’on ne doit pas insulter son public. J’obéis. Mais que c’est difficile parfois…
Donc, ici, c’est un potager. Ce n’est pas ma place. Ma place c’est un verger avec les abricotiers, les pêchers, les pruniers et autres arbres à l’allure fière qui ne traînent pas leurs fruits dans le ruisseau… Bien que, là aussi, il y en aurait à redire : il ne suffit pas d’être de haute naissance. Le poirier porte bien haut sur ses branches ses fruits, ils sont élevés au sérail, avec d’excellentes relations, eh bien, cela reste des poires quand même.
Donc en ce moment vous me voyez dans un potager, en compagnie d’un chou, d’une carotte et d’un monstre que j’ai de la peine à identifier depuis ma hauteur mais je crois bien qu’il s’agit d’un navet. En tout cas, tout ce petit monde rampe dans la fange du potager, le nez dans la boue, quand il pleut , sans pouvoir s’élever dans les airs et danser avec le vent quand il fait beau. Pourquoi suis-je donc là ? Quand on m’a attribué cet emplacement, je me suis dit : « Je vais refuser, c’est indigne de moi, les pépins de mes parents doivent se retourner dans la terre en sachant quels milieux je fréquente ». Puis je me suis dit : « Tout de même, c’est le potager du Roi. Il vaut mieux être première dans le potager du roi que chenille anonyme dans le verger de la Reine ». Je me comprends.
Ne faites donc pas attention à la triste compagnie dans laquelle vous me trouvez, un aristocrate doit savoir s’adapter à tous les milieux. Et mes quatre quartiers de noblesse sont bien là, j’espère que cela se voit.
D’ailleurs dans ma tour de feuilles, quand je regarde vers les légumes en bas, légumes tout un programme ! Les humains quand ils ont un court-circuit dans le tubercule, on dit qu’ils sont des légumes, jamais des fruits… quand je regarde donc vers ce peuple de la terre, je me vois pleine de reconnaissance pour mon créateur. Le Patron, on peut y croire ou pas, mes parents ne l’ont pas vu, les parents de mes parents non plus, mais notre ancêtre était le premier fruit du jardin du Paradis. Un héros. A peine créé, il a dû souffrir de son côté exceptionnel. Eh oui. Pourtant c’était le protégé du Patron. Patron qui avait bien prévenu ses enfants : « Touchez à tous ce que vous voulez mais pas à ce fruit ! » C’est qu’il y tenait. Mais à peine eut-il le dos tourné, qu’un serpent surgit. Ah, la rivalité entre le monde végétal et animal est une longue histoire.
Voilà des millénaires que, sous une forme ou une autre, ils nous picorent la peau, ils nous grignotent les entrailles, ils nous fauchent sur la branche. Les animaux, tous, oiseaux, insectes, vers et parasites, tous sans exception sont des barbares. Ils peuvent se déplacer, d’accord, mais tout ça pour semer la mort et la terreur. Le plus humble des navets vaut dix fois plus que le plus prétentieux de ces barbares véloces. Là, les légumes, j’en veux bien car c’est l’alliance sacrée des fruits de la terre contre l’ennemi mobile ! Les animaux, je les hais, je les hais !
Il faut que je me calme, je suis en pleine période de mûrissement, déjà que cela prend toute mon énergie alors il ne faut pas que je me fatigue davantage. Et la colère me donnerait une vilaine couleur et une peau grainée. La honte !
Revenons à mon célèbre ancêtre, fondateur de la dynastie. Donc, les deux enfants du Patron, encouragés par l’immonde reptile, perpètrent un vil attentat sur mon aïeul : ils le mordent, ils lui arrachent sa chair, sa peau. Il faut dire qu’il était sûrement très beau et très tentant mais ce n’était pas sa faute. C’était son créateur qui l’avait fait ainsi. Créateur qui, furieux, se jeta dans un torrent de foudres, sur les malheureux… Trop tard. Mon ancêtre gisait par terre, dans son jus, ses pépins à l’air, tombé de l’arbre, agonisant dans l’herbe. L’horreur. Le carnage ! Il ne faut pas s’étonner qu’avec un tel passé familial toutes les pommes soient un peu névrosées.
Pour compenser un peu nos malheurs, les peintres nous ont donné du lustre, si j’ose dire, car, ils ont immortalisé la scène des milliers de fois. Dans leurs tableaux, sauf les seins d’Eve qui nous ressemblent à peu près, il n’y a rien de marquant à voir sauf mon ancêtre. Peint sur ses plus belles couleurs. Mais pour quelques fans, combien de persécutions ! Tenez : cet hurluberlu de Pâris qui refusa la pomme à deux déesses pour la donner à Aphrodite, pensez-vous qu’il nous a fait du bien ? La légende dit qu’il s’agissait d’une pomme d’or mais il faut faire avec l’ignorance des anciens. Les mecs n’y connaissaient rien. Il s’agissait tout bêtement d’une Golden. Aphrodite a fini par la jeter dans un coin, l’oublier, et la pauvre pomme est morte oubliée de tous après un trop court moment de célébrité.
C ‘est pour ça que je dis à tout le monde : il n’y a que le combat armé ! Car de toute l’histoire de notre race héroïque, quelle est la pomme qui s’en est le mieux sortie ? Qui est devenue célèbre tout en gardant son intégrité ? C’est la pomme qui a atterri sur la tête de Isaac Newton lui inspirant la géniale idée de la gravitation terrestre. Non seulement elle a immortalisé notre espèce, non seulement elle a été utile à la civilisation mais, en plus, elle a gardé son intégrité. Trop content d’avoir une idée si géniale, le brave Isaac a couru ausitôt la coucher sur le papier et mon ancêtre ne s’est pas fait bouffer.
C’est ce qu’on appelle finir en beauté. C’est un sujet qui me préoccupe. Particulièrement en ce moment. Je suis presque mûre et je ne veux pas finir fruit blet sur l’arbre. Je voudrais rester digne de ma glorieuse ascendance. Donc il faut que je trouve une bonne chute. Bien sûr, la Chute, surtout sans avoir jamais péché, ne réjouit personne mais il le faut bien. Car, à cause du précité Isaac Newton, je n’ai pas d’illusion à me faire. La gravitation est sans pitié : je finirai entre le chou et le navet… Je pourrais me lancer dans une nouvelle carrière : populiste ! Un truc un peu comme le comte de Mirabeau votant pour la mort de Louis XVI. Mais c’est du retournement de veste, et la trahison des siens… Ah, mais j’ai une idée, moi ! Pour échapper à la chute, comme pour éviter de finir gâteuse et ridée m’accrochant lamentablement à ma branche, je pourrais être cueillie et finir bien au chaud dans un compotier. Cueillez-moi, je vous en prie, prenez-moi je suis une descendante de la pomme du Paradis, je suis divine, je suis d’avant le péché, elle est belle ma pomme, elle est bien mûre ! Je vous en prie : un geste ! Je ne veux pas finir dans le caniveau, je vous en supplie, mangez des pommes ! Et moi d’abord !
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4 commentaires:
en voilà une qui n'est pas piqué des vers !
Mloaf mloaf! Miam.
Le temps d’un week-end, on passe de «abondance de William…» à son occultation intégrale, alors qu’il / elle aurait pu tenir un rôle clé dans le feuilleton qui s’esquissait. Mais dure fut la chute d’apprendre, lorsque le convoi (eût-il été malin d’écrire : «après être parti du bon pied» ?) semblait être parvenu à sa vitesse de croisière, que nous n’aurions pas, gratis, un nouveau «Papouille chez les Bretons»… Un article, conséquent – c’est vrai, mais pas un feuilleton.
On comprend que, forte de l’empire qu’elle avait et pouvant se targuer non simplement d’être le fruit d’une rencontre entre Granny Smith et Rokewood mais, de plus, d’avoir engendré Pink Lady à l’occasion d’une aventure avec ce délicieux Golden, Anne Hathaway (Lady William) ait usé de son influence pour garder sous le boisseau toute référence à ce qui avait été le ressort des passions shakespeariennes.
Il faudrait ensuite être un peu pomme et se pâmer (spasmare) comme une pom-pom girl devant l’explication (très contestée) que «tomber dans les pommes» aurait quelque chose à voir avec «tomber en pâmoison». Mais chut !... le refrain n’a-t-il pas ici à voir avec la chute (paradisiaque), et – Isaac N. oblige – ce sont les pommes qui se mettent à tomber à leur tour, alors qu’on avait failli tomber dedans. Digression : j’ai dégusté en une contrée où c’est un plat apprécié un délicieux canard que l’on avait baptisé «à la Newton».
Depuis la casa qui lui sert d’Olympe, notre divine d’avant le péché aura peut-être loisir de remonter le temps de la Genèse. Laissons ces horribles bestioles qui s’attaquent au végétal : faisant un crochet par le cousinage des fruits (aurai-je encore la pêche sans trop ramener ma fraise) et des légumes (les choux ont quand même 75% d’ADN en commun avec l’être humain), remontons encore d’un ou deux jours de Création pour nous rapprocher (autre digression tout aussi hispanique que l’anagramme évoqué ci-avant : avecindais, obtenu quand on conjugue à la deuxième personne du pluriel quelque chose qui tourne autour de la notion de proximité)... pour nous rapprocher donc du plus chosique. A l’hostilité animal / végétal, j’opposerais la solidarité pomme / tarte Tatin et Calva.
Avec mon PC, non un Mac : pas de touche «Apple». Ma chute sera donc ce qu’elle sera, adaptée néanmoins au contexte, me semble-t-il. Je la confierai à Simone de Beauvoir (Les Mandarins) : «[…] pour s'occuper des gars qui étaient tombés dans les pommes, [on appelait le docteur Baumal [sic]] ; il les ranimait, et on recommençait à leur tortiller les doigts de pied.» (Remarque : pour «tomber dans les pommes», on dit en allemand : "Aus den Latschen kippen" (Basculer hors de ses pantoufles).
Aîe, cela donne des complexes! Trop brillant, trop cultivé, trop fûté!
Une bonne et une mauvais nouvelle:
Ainsi donc on a 75% d'ADN en commun avec les choux.C'est la mauvaise nouvelle.
Mais il y a encore des gens qui lisent Les Mandarins, un des rares bons textes de la SImone. Ca c'est la bonne nouvelle.
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