vendredi 1 janvier 2010

Bûcher (aber nicht Bücher !) des Vanités


J’ai commencé à tenir un journal en 1963. Mon âge était suffisamment tendre pour excuser l’illettrisme qui, dans les premiers cahiers, appelait des dessins au secours d’une écriture incertaine. Il est amusant de constater que, bien plus tard, au crépuscule de ma vie, après avoir fait mes preuves honnêtes (donc qui ne prouvent rien) comme figurer dans les manuels scolaires et au programme du bac avec mes textes publiés, traduits en diverses langues, au moment où je me sentais pleinement maîtresse de mon écriture, je suis revenue aux sources, préférant à nouveau m’exprimer par le dessin et la peinture plutôt que par les mots. Il est vrai que j’avais consacré quarante ans à l’écriture, durée moyenne de vie sous je ne sais plus quel roi ou empereur, et je trouvais que cela suffisait. Au fil des ans, sans discontinuer, sans me laisser perturber ni par le changement de langue ou de pays (c’est un pluriel !) les cahiers de mes journaux intimes s’empilaient. Couverture diverses, factures de plusieurs continents, le plus souvent manuscrits mais émaillés des exceptions tapuscriptes, mes journaux intimes s’empilaient. Inexorablement. Une quarantaine, cinquante ? Ils voyageaient dans un caisson spécial lors de tous les déménagements et je m’assurais à chaque déplacement de leur bon ordre (numérotés et étiquetés soigneusement, alors que habituellement je ne classe rien). J’avais instauré une tradition. Chaque 31 décembre avant minuit je relisais l’année précédente. Très souvent, j’y découvrais une année très différente de celle de mes souvenirs. A part cette utilisation de relique et de sarcophage de mon passé, beaucoup de mes journaux ont servi à des écrits autobiographiques comme Toujours ensemble. Une émotion à vérifier, une anecdote oubliée ou un souvenir si lourd à porter que la mémoire l’a effacé alors que l’écrit le conserve ? Il n’y avait qu’à faire appel à mes journaux. Le tout premier cahier portait encore les armoires délirantes de réalisme socialiste de la Roumanie, trois années y tenaient sur une vingtaine de pages, le suivant innovait dans l’illustration (des photos noir et blanc) et inventait déjà le narrateur extérieur : le journal était censé être tenu par la Fiat 600 de mon père. Est-ce que c'est ce modèle là qu'on surnommait la Topolina? La petite souris? Je craignais le moment où ma pile de journaux intimes allait dépasser ma taille quand je fus sauvée par le gong. Plutôt par une citation. Glanée au fil d’une lecture sur le zen, je crois, cette proposition admirable : « Il ne faut laisser rien derrière soi, même pas un souffle. » Et moi avec ma pile de journaux intimes, en roumain on utilisait le terme « maculaturâ » de macula (tache) pour tout papier écrit destinée à la poubelle. Et moi ? avec ma tonne de cahiers maculés, mes wagons de vécus en herbier, mes containers d’émotions taxidermisées, mes cargos d’élans lyophilisés… Mais tout cela allait me survivre et encombrer la planète bien plus sérieusement qu’un souffle ! Voilà comment ce soir, au milieu de mon jardin sous le petit olivier, devant les yeux ronds de mon poisson rouge, après lecture, j’ai brûle les deux dernières années. D’accord je sens un peu la fumée, mais je me sens déjà plus légère. Qu’est-ce que cela va être quand le tout sera parti en souffle de fumée ! Je vais voler, c’est certain.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Nouvel an, nouvelle vie alors pourquoi ne pas agir en révolutionnaie et faire du passé table rase même si l'on ne croit plus et Copenhague ne nous démentira pas que l"Internationale sauvera le genre humain ?
Oui au risque de ringardise un cri, unr mise en garde : il ne faut pas brûler les livres! Menacés de toutes parts par les dictatures de tous poils nazis, communistes et partisans de la pensée unique, ils subissent l'assaut conjugué d'internet qui les rend virtuels et du pilon des éditeurs qui réduit leur chair vivante en pâte informe et la vie les quitte. N'allons nous pas ves le livre réduit à une antiquité, momie de notre temps? HOrs qu'est ce qu'un journal sinon un livre de Vie et loin de toute vanité, toute vie fut elle minuscule selon l'expression de Pierre Michon mérite son historien. Tout le monde ne bénéficie pas des souvenirs pieux de Marguerite Yourcenar mais qui mieux que lécrivain pourra dire et traduire en mots les événements et sentiments, pensées, interrogations, heurs et malheurs de sa propre Vie. Et si sa beauté, sa grandeur, son talent peuvent inspirer d'autres en recherche, à l'écoute alors sans illusion, sans orgueil, pourquoi ne pas faire part de son histoire au travers d'une écriture? Et si le vent emporte ses graines de Vie qui sait où elle iront aboutir essaimer, pour ceux qui esaient d'aimer? Alors pitié pour les livres, contes,nouvelles, pièces, journal, romans Anca Visdei et que le feu propitiatoire du Nouvel An vous donne de nouvelles fores pour que Phénix surgi de ses cendres vous répandiez au vent divin la bonne parole de Anca Visdei, que loin de l'amertume d'un passé consumé vous nous fassiez retrouver rire, ironie, fantaisie, imagination au pouvoir et couleurs de la vie. Merci d'avance et bonne année!

Anca Visdei a dit…

J'ai bien précisé "Bûcher (aber nicht Bücher!) donc pas de livres, oh surtout pas, même pas les mauvais, même pas les haineux, j'ai brûle "nur Heften" seulement des cahiers. mais pourquoi tous ces termes d'autodafé me ramènent à parler allemand?
Ah par cela, je sais qui c'est l'anonyme : citer Pierre Michon, j'étais sur la voie, à Yourcenar c'était confirmé. Votre deuxième prénom c'est Louis, hi hi je suis fûtée, moi, comme une grande.

Anonyme a dit…

Non mais qu’est-ce que cela veut dire : ’’...bien plus tard, au crépuscule de ma vie...’’ N’importe quoi !

Attention, jeune fille, ne jouez pas avec les mots, ça peut se retourner contre vous ! Ca peut vous jouer de mauvais tours...

L'Ami Moldave

Anca Visdei a dit…

Ami Moldave, vous avez réagi comme l'amie Inge,
une page du blog va être consacrée aux réactions. Vous vous êtes inquiétés pour moi car
"gaffe au crépuscule!". Il est vrai que l'heure entre chien et loup rend dépressif, que cela fait penser aux Crépuscule des Dieux... mais comme je ne suis pas déesse, je m'en balance. Et puis c'est très beau un crépuscule, on s'arrête pour l'admirer, on le savoure, on l'immortalise. Et puis vient la nuit qui est belle aussi. Je n'ai tout de même pas dit "al fine del' camin della mia vita." Là en effet, il faudrait s'inquiéter.
mais

Anca Visdei a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
L'Riton laveur a dit…

Ce qui suit est déconnecté des éventuels émois suscité par le billet. C’est un rapport "à la commissaires aux comptes". Un croquis vaut mieux qu’un long discours … mais les commentaires comme celui-ci n’admettent pas les croquis. Pour rester bref, on en restera aux chiffres.
Lancé en février 2008, ce blog a passé la barre des 10 mille pages lues en mars 2009 et des 15 mille en août. Il vient de franchir les 20 mille (le compteur ayant eu un trou d’air en septembre n’a marqué que 17 mille).
Les pronostics de l’été sont ainsi confirmés. Cela vaut aussi pour le nombre d’articles depuis l’origine (347 sur 350 prévus) et pour les commentaires où on avait été prudent (445, c’est-à-dire 68 de plus après le passage des 15 milles pages, par rapport à une fourchette annoncée entre 40 et 70).
L’Riton laveur
.

Anca Visdei a dit…

Merci L'Riton compteur. C'est bon pour nous n'est ce pas?