vendredi 1 avril 2016

Correspondances de printemps

Deux jours de trouble, de bonheur et d’humilité avec la lecture de Suite française d’Irène Némirovsky. J’avais découvert, il y a longtemps, Le Bal et David Golberg. Des chefs d’œuvre absolus. Et, avec l’orgueil stupide des pionniers qui croient détenir le secret des découvreurs et battent froid leur trouvaille quand elle devient une marotte publique, je me suis désintéressée de  Suite française. (Il y a des précédents célèbres : Voltaire faisant connaître Shakespeare aux Français, mais mettant un bémol dès que tout le monde s’en fût entiché, eh oui , on veut l’exclusivité de ses amours, c’est très bête, mais c’est humain… Si même Voltaire… Qui suis-je pour imaginer faire mieux que lui ?)
Quant à la Suite francaise, c’était d’abord un écrit posthume donc, pour ma nature méfiante, sujet à caution. Ensuite : un Renaudot post mortem accordée à l’auteur auquel la France avait refusé la naturalisation et qu’elle avait parquée dans les camps pour le malheureux mois qu’il lui restait à vivre avant de partir… en fumée, quelle hypocrisie ! 

Faisant de l’ordre dans la bibliothèque (plus exactement regardant ce que je pouvais vendre ou offrir pour faire un peu de place poru des nouveaux venus), j’ai commencé à lire. Sautant, à mon habitude, la préface qui retrace la terrible tragédie de cet écrivain, ayant fui sa Russie natale avec sa famille en 1918, n’ayant appris le français qu’à l’adolescence, remarquée par Bernard Grasset grâce au manuscrit qu’elle lui avait envoyé par la poste et publiée aussitôt, tout cela je le savais et je craignais que la légende n’entache de subjectivité ma lecture. L’humilié m’est tombée dessus comme un habit de pénitence vers la dixième page du texte : du génie, mais un génie discret, masqué d’humour, une observation des êtres et de la nature d’une finesse extraordinaire, une intuition historique, une sens politique purement prodigieux.
Nemirovsky écrivait en direct : pendant que les évènements se déroulaient, de l’exode à la rupture du pacte germano-soviétique. Arrêtée le 13 juillet 1942, elle fut assassinée le 17 août de la même année à Birkenau. Sur ces deux années terribles, elle ne se trompe pas une fois sur la suite des événements, pas une fois elle ne s’apitoie sur elle-même. Non, ce n’est pas un livre sur la Shoah, c’est un livre sur les hommes et les femmes tels qu’ils se comportent dans les temps noirs, c’est un livre sur la France et peut-être le meilleur livre sur aujourd’hui… Fermant le livre sur la postface contenant les lettres désespérées écrites par le mari qui essaie de délivrer Irène des camps  lui qui mourra à Auschwitz des son arrivé en novembre 1942, émerveillée par le miracle de la vie et de l’art qui fit que les deux filles orphelines du couple conservèrent, transcrirent et firent publier le manuscrit, je suis partagée : reconnaissante au destin qui a conservé ce chef d’œuvre malgré la mort de tant des acteurs de l’épopée et une colère inutile et rétroactive.

Ce matin, j’ai appris la mort d’Imre Kertesz. Il avait écrit  dans son discours de réception du prix Nobel :

 Si l’Holocauste a créé une culture – ce qui est incontestablement le cas -, le but de celle-ci peut être seulement que la réalité irréparable enfante spirituellement la réparation, c’est-à-dire la catharsis. Ce désir a inspiré tout ce que j’ai jamais réalisé.

Comme dans Suite française, ce qui me touche est l’absence de haine, le désir de comprendre, la foi dans la vie et une possible réparation.
Hasard absolu, j’écoutais la radio en rangeant ma cuisine et j’entends ces mots :

Et si j'étais né en 17 à Leidenstadt
Sur les ruines d'un champ de bataille
Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens
Si j'avais été allemand ? 

Evidemment, tout le monde doit connaître cette chanson de Jean-Jacques Goldman. Moi je viens de la découvrir, mais je découvre tout après tout le monde, ce qui ne m’a jamais privée d’enthousiasme. Ma journée sera bercée par l’amour de la vie, donc l’espoir dépourvu de haine et de violece, celui des livres de Nemirovsky et Kertesz et celui de la fin de la chanson :

Et qu'on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps

D'avoir à choisir un camp.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très beau commentaire à l'aune de la qualité des personnalités exceptionnelles évoquées. Que l'on est loin de la haine et de l'intolérance ordinaires. Oui l faudrait remettre sur le champ de l'honneur les valeurs de l'amour, du respect, de l'humilité au lieu des certitudes simplistes et pour autant arrogantes, des oukases péremptoires, des imprécations vulgaires. Oui à la qualité de l'écriture, à la tenue du comportement, à la hauteur de vue, à l'intelligence au service des hommes, à l'imagination créatrice , au rire qui rend heureux, à l'idée d'un bonheur partagé. Merci