lundi 16 décembre 2013

Mon amie

Hier, en matinée à l'Opéra Comique, le Manfred du Lord Byron mis en musique par Robert Schumann résonnait des accents faustiens de son héros qui cherche la mort et ne la trouve pas. Quelques heures après, à Chantepie, ma plus ancienne amie en France, quittait avec dignité et légèreté un corps sur lequel elle ne voulait pas qua le médecine s'acharne sous prétexte de le faire vivre. Bretonne de coeur et d'esprit, s'étant battue toute sa vie, ayant créé un des premiers magasins vintage de Paris, "Il était une fois" à la rue Jean-Jacques Rousseau, elle s'est éteinte auprès de ses deux enfants. Paisiblement et discrètement. J'avais été si séduite par sa personnalité que j'avais dédié un article à son travail et à sa personnalité hors du commun. En 1980, elle avait déjà la clientèle japonaise, américaine et le show biz' français, mais cet article a tissé entre nous un lien qui ne s'est jamais démenti. Nous avons passé ensemble des temps de vaches maigres et de vaches grasses, partageant toujours même ce que l'on n'avait pas. Toujours côte à côte dans deux vies parallèles en montagnes russes, je ne l'ai jamais trouvée en défaut d'amitié, de chaleur, de bonne humeur. Elle m'a habillée plusieurs saisons en soieries de chez Madame Grès, j'ai été très fière de négocier à ses côtés un contrat avec des marchands anglais coriaces et… c'est nous qui avons gagné. Critique de théâtre, je passais le soir avant les premières de la Comédie Française pour me plaindre de la prétention constipée des soirées de grande première? Elle me trouvait tout de suite dans la boutique un tambourin à voilette, un bibi à plumes et la soirée se présentait mieux. Quand elle ne me confiait pas , suprême honneur l'un de ses beaux enfants pour m'accompagner. Cette confiance ma fait venir les larmes aux yeux. D'autant plus que, moi même un peu à l'ouest, je ne sais si je la méritais vraiment. M'est souvenir d'une première du Balcon de Jean Genêt où je suis allée avec sa fille Katell, belle adolescente au teint de porcelaine et au coeur en or. Arrivées au contrôle on nous signale un risque d'attentat et laisse le choix d'entrer dans la salle ou de renoncer. Que faire, même si la boutique de la mère était à quelques centaines de mètres? Laisser la décision à la jeune fille. Pendant deux heures, dans nos fauteuils confortables, nous sursautions toutes les deux à chaque coup de feu, et il y en a dans Le Balcon puisque c'est l'histoire d'une révolution. Je ne sais si l'on a avoué à la mère notre fait d'arme et d'inconscience, mais les histoires qui nous aont réunies de Paris aux Etats Unis, du Vézinet à Bénodet, toujours un peu originales se sont toujours achevées dans un éclat de rire amical. Le genre d'amie pour laquelle on fait des témoignages lors du divorce et qui vous délivre des certificats d'employeur satisfait quand vous cherchez du travail. A moins que ce ne soit l'inverse. De toutes les façons, ma fascination admirative pour elle ne me faisait dire que la moitié du bien que j'en pensais. Pendant ce temps là les enfants de chacune grandissaient, les uns entre les "fripes de luxe" (c'était le titre de l'article que je lui avais consacré et qui l'avait amusée) l'autre dans les tapuscripts. Nous n'avons pas vu le temps passer entre les voyages découvertes en Bretagne, le coup de main qu'elle me donnait pour vendre ma garde robe aux Puces quand les fonds étaient bas, la coupe du monde de football Aimée Jacquet que nous avons regardée ensemble et quelques bulles de champagne comme antidépresseur. Le temps a passé trop vite, soixante-sept ans c'est vraiment tôt pour s'en aller. Elle a pourtant eu le temps de vivre trois vies en une et d'entourer d'affection ses deux beaux petits enfants. C'est toujours trop tôt, mais quel beau cadeau elle a fait aux gens qui l'aiment d'accepter son départ avec une sérénité et même avec humour.Je l'aimais. Je l'aime. Et continuerai à l'aimer dans ses enfants et ses petits enfants et dans la couleur de la mer à Brest.

1 commentaire:

patrick a dit…

beau texte pour une belle personne qui mérite notre respect et notre amitié à tous